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« conception enfantine » de la nature, une dizaine de pages auxquelles Renan eût pleinement souscrit. Mais d’autre part, son rationalisme n’ira pas jusqu’à lui faire placer dans la raison une confiance exagérée. « Il est clair, dira-t-il, que nous ne pouvons rien savoir, que tout nous trompe et que la nature se joue cruellement de notre ignorance et de notre imbécillité. » « Aussi bien, dira-t-il ailleurs, est-ce faire un abus vraiment inique de l’intelligence que de l’employer à chercher la vérité. » « Ce qu’on appelle métaphysique, éthique, esthétique, » ce sont tout simplement des « jeux plus compliqués que la marelle ou les échecs. » « L’esthétique ne repose sur rien de solide. C’est un château en l’air. On l’appuie sur l’éthique. Mais il n’y a pas d’éthique. Il n’y a pas de sociologie. Il n’y a pas non plus de biologie. L’achèvement des sciences n’a jamais existé que dans la tête de M. Auguste Comte, dont l’œuvre est une prophétie. » « Tu n’en croiras pas même l’esprit mathématique, si parfait, si sublime, mais d’une telle délicatesse que cette machine ne peut travailler que dans le vide et qu’un grain de sable dans les rouages suffit à les fausser. On frémit en songeant jusqu’où ce grain de sable peut entraîner une cervelle mathématique. Pensez à Pascal. » Et il y a certes là de quoi frémir ! Ne comptons pas non plus sur l’histoire pour nous donner la vérité : « L’histoire n’est pas une science, c’est un art. On n’y réussit que par l’imagination. » Et quant à la philosophie proprement dite, que pourrait-elle bien nous révéler sur le fond des choses ? « Songez-y, un métaphysicien n’a, pour constituer le système du monde, que le cri perfectionné des singes et des chiens. » N’attachons donc pas trop d’importance à « cette suite de petits cris éteints et affaiblis qui composent un livre de philosophie. » « Un système comme celui de Kant ou de Hegel ne diffère pas essentiellement de ces réussites par lesquelles les femmes trompent, avec les cartes, l’ennui de vivre. »

Ce ne sont pas là, direz-vous, des perspectives bien gaies. Et, en effet, elles peuvent inspirer à une âme bien née une mélancolie salutaire. Pourtant, on aurait tort de trop s’en attrister. « Quand on dit que la vie est bonne et quand on dit qu’elle est mauvaise, on dit une chose qui n’a point de sens... La vérité est que la vie est délicieuse, horrible, charmante, affreuse, douce, amère, et qu’elle est tout. » M. Anatole France a, d’ailleurs, beau nous vanter « les délices d’un calme désespoir » et