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nous dire : « Les contradicteurs qui, malgré la beauté esthétique de ces pensées, les trouveraient funestes à l’homme et aux nations, suspendront peut-être l’anathème quand on leur montrera la doctrine de l’illusion universelle et de l’écoulement des choses naissant à l’âge d’or de la philosophie grecque avec Xénophane et se perpétuant à travers l’humanité polie, dans les intelligences les plus hautes, les plus sereines, les plus douces, un Démocrite, un Épicure, un Gassendi[1] : » il resterait d’abord à démontrer que Gassendi, Épicure, Démocrite et Xénophane ont été « les intelligences les plus hautes » de l’humanité pensante, et ensuite que leurs doctrines ont été véritablement bienfaisantes. Le scepticisme qu’on nous prêche est contagieux ; et il se trouvera des esprits assez dépravés pour juger ces deux propositions un peu bien téméraires.

Ils discuteront peut-être aussi les conclusions dernières de cette philosophie ; telles que les a formulées, en une fort jolie page, le moderne disciple d’Épicure :


Plus je songe à la vie humaine, plus je crois qu’il faut lui donner pour témoins et pour juges l’Ironie et la Pitié, comme les Égyptiens appelaient sur leurs morts la déesse Isis et la déesse Nephtés. L’Ironie et la Pitié sont deux bonnes conseillères : l’une, en souriant, nous rend la vie aimable : l’autre, qui pleure, nous la rend sacrée. L’Ironie que j’invoque n’est point cruelle. Elle ne raille ni l’amour, ni la beauté. Elle est douce et bienveillante. Son rire calme la colère, et c’est elle qui nous enseigne à nous moquer des méchans et des sots, que nous pouvions, sans elle, avoir la faiblesse de haïr.


Il ne faut pas haïr, fût-ce les méchans et les sots ; mais plutôt que de les railler, mieux vaut encore les plaindre. Et la Pitié elle-même, nous ne la vénérons que si elle ne se contente pas de pleurer sur les misères humaines, que si sa compassion est active ; en un mot, nous n’aimons la Pitié que si, de son vrai nom, elle s’appelle la Charité.


Un artiste plus délicat que vigoureux, plus souple qu’inventif, plus habile à ciseler finement les détails qu’à brosser puissamment les ensembles ; un curieux et un voluptueux plus enclin à suivre sa fantaisie qu’à s’incliner devant une règle morale ou sociale ; un esprit ingénieux, pénétrant, parfois profond,

  1. Le Jardin d’Épicure, p. 87, 156, 157