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exaspéré. On a dit que le romantisme est une maladie. Ç’a été, en tout cas, l’entrée en scène de la maladie dans la littérature. A l’aube du XIXe siècle, la santé physique comme la santé intellectuelle et morale a cessé de plaire. On découvre la poésie de la maladie, ou plutôt, — au lieu de s’attacher à la poésie qui est réellement en elle et qui consiste dans l’infini des souffrances par lesquelles elle retentit dans nos cœurs, — on en dégage, on en souligne, on ne cesse de nous en mettre sous les yeux l’horreur macabre. De toutes les maladies, la maladie de poitrine est réputée pour être la plus poétique. C’est la maladie à la mode de 1820. La jeune poitrinaire défraie l’élégie, le roman et la romance. Toujours par haine de la santé, de l’équilibre, de la tranquillité des lignes, les romantiques célèbrent l’exaltation de la sensibilité et vantent la vie forcenée : ils sont à l’état de lyrisme chronique. C’est pour cela qu’ils opposent les artistes aux bourgeois, s’étant avisés que l’artiste doit vivre dans une sorte de délire continu et que le génie se confond avec la folie. C’est pour cela qu’ils prêtent à l’irrégularité des mœurs une sombre grandeur ; ils parlent de la Débauche, par une majuscule, avec un mélange d’effroi et d’admiration ; l’Orgie leur apparaît comme une manifestation supérieure des facultés humaines ; et, quand ils ont soufflé les bougies, la flamme du punch leur semble une émanation directe de l’enfer. Ils recherchent tout ce qui est frelaté et factice : à nous le haschich et les paradis artificiels ! Par une conclusion logique, ils sont les amans de la mort, ils en prodiguent le spectacle, ils l’étaient dans im décor qui ne convient pas à sa majesté ; ils nous régalent d’agonies inédites, organisées à grand renfort de puériles imaginations... Tous ces thèmes se retrouvent dans la pièce de M. Bataille, traités avec une ingénuité, une candeur, un air de les avoir découverts, qui désarme. Cette pièce, agrémentée de téléphone et de phonographe, et qui veut être hardie, est le triomphe du vieux jeu.

Le premier acte nous en avait fait bien augurer. Outre qu’il est très habilement construit, que notre curiosité et même notre intérêt y sont éveillés, il est d’une fort bonne tenue littéraire. Nous sommes dans l’atelier de Thyra de Marliew, une jeune fille de la société cosmopolite qui a des goûts artistes et même s’est mise à faire de la sculpture. Elle est belle, elle est riche, elle est fiancée à un prince : qui ne l’envierait ? Les anciens avaient coutume de dire que ces existences trop comblées attirent le malheur. Nous sentons planer une menace dans l’air. Il se passe ici des choses extraordinaires. Thyra est sortie ce matin dans un accoutrement bizarre, affublée des vêtemens de sa