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sonne, Thyra se fait une piqûre de cyanure de potassium et tombe foudroyée, comme le veut la convention de théâtre... Une lettre qu’elle a laissée enjoint aux convives d’achever la nuit en causant et en fumant auprès de son cadavre. Charmante soirée ! Telle est la mort de Thyra : ce n’est pas la mort sans phrases... Spectacle pénible, sans doute, mais surtout baroque et saugrenu.

Il est très regrettable qu’un auteur, certainement doué pour le théâtre, se torture à de si laborieuses inventions. Le moindre grain de vérité ferait bien mieux notre affaire. Nous n’exigeons pas du théâtre qu’il soit une image calquée sur la vie réelle ; il peut en être une transposition aussi poétique, aussi romanesque que l’on voudra ; encore ne faut-il pas qu’il soit un perpétuel défi à l’expérience et au bon sens. Tout ici est arbitraire et conventionnel ; au lieu d’observation, des combinaisons qui n’ont pour règle que la fantaisie de l’écrivain ; au lieu de sensibilité vraie, une sentimentalité qui s’égare. Sur tout cela une rhétorique déchaînée, une phraséologie impitoyable et incoercible. Trop de phrases ! Trop de fleurs ! Trop de littérature !

Mlle Yvonne de Bray était chargée du rôle écrasant de Thyra. Elle a plié sous le poids. Ce rôle ne lui convient pas : elle crie, elle se démène ; on ne retrouve pas son charme habituel. Mme Tessandier, Mmes Ellen Andrée et Moreno, MM. Pierre Magnier, Capellani et Joffre composent un ensemble très honorable.


Maintenant, vous sentez-vous le courage de regarder en face un des plus graves périls dont soit menacée la famille française ? Allez voir, à la Comédie-Marigny, la pièce que d’ingénieux adaptateurs ont tirée d’un roman célèbre. M. Marcel Prévost excelle à trouver des formules qui entrent ensuite dans le langage courant. Il avait baptisé jadis les « demi-vierges. » Les institutrices lui devront de troquer désormais leur nom contre celui d’ « Anges gardiens. » Le théâtre et le roman, au XIXe siècle, se sont beaucoup occupés de l’institutrice : ç’a été généralement pour la poétiser. Née dans l’opulence, des revers de fortune l’ont reléguée dans une condition subalterne. Elle y conserve de grands airs qui sont un reste de sa dignité perdue. Misère, si l’on veut, c’est une misère de princesse déchue. La vie lui doit une revanche, et, à défaut de la vie, la littérature lui apporte, au dénouement, cette revanche si méritée ! Un fils de famille, de préférence un beau ténébreux, épousera cette intéressante déclassée, si supérieure à toutes les poupées de son monde ! Quelquefois il aura commencé par la séduire,