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un ascendant tyrannique ; elle la façonne à son image : elle en fait un monstre d’égoïsme et une ennemie déclarée du mariage. Que son père soit acculé à la ruine, la jeune Berthe refusera de lui venir en aide ; et, pendant que le malheureux agonise, elle ira vivre dans le luxe sur la Côte d’Azur. Elle désespérera le jeune homme qui l’aime et se confinera dans un farouche célibat. Rosalie, luxembourgeoise, est sensuelle et naïve : elle filera avec son patron, le baron de Repart d’Anay : « Monsieur le baron est si bon ! » Sandra, italienne, est langoureuse et, perfide. Elle séduit le fils Corbeiller ; et la mère du jeune homme n’ayant pas voulu consentir au mariage, elle se venge en dérobant la correspondance amoureuse de Mme Corbeiller et en l’envoyant au mari. Magda, allemande, ne peut être qu’une espionne. Elle vole au député Crauze, qui est plus ou moins ministre de la Guerre, les plans de mobilisation, en sorte que celui-ci est obligé de donner sa démission et que sa fille, nouvelle Ophélie, se jette dans la pièce d’eau du parc. Heureusement la pièce d’eau n’était pas profonde ; Mlle Crauze revient à elle ; son père n’est plus ministre ; elle pourra épouser un officier autrichien dont elle s’est amourachée ; car on peut épouser un étranger, si le cœur vous en dit : la question de nationalité ne s’applique qu’à l’institutrice... Toutes ces intrigues se rejoignent et même s’emmêlent dans une complication qui n’est pas toujours aisée à débrouiller, mais aussi avec un mouvement qui ne laisse pas un instant place à l’ennui.

Il y a même une scène excellente, d’un comique large et savoureux. C’est le repas des institutrices. Les propos qu’on y échange ne rappellent en rien ceux du banquet de Platon ; mais on ne s’attendait pas à voir Platon en cette affaire. Un jour que les différentes familles, où ces demoiselles sont employées, sont allées faire une excursion en automobile, les institutrices se réunissent, l’Anglaise et la Luxembourgeoise, l’Italienne et l’Allemande, en des agapes confraternelles. Des vins généreux ont tôt fait de délier les langues. Et c’est alors un débordement de ces basses calomnies qui défraient les conversations d’office, renforcé de ce torrent d’injures par lequel a coutume de s’affirmer la fraternité des peuples.

Beaucoup de rôles. Du côté des hommes, le grand succès a été pour M. Arquillière, excellent de rondeur et de bonhomie. Du côté des femmes, Mlle Géniat, Mlle Garrick... mais elles sont trop, et il est plus simple de complimenter en bloc ce charmant bataillon.


Décidément, les sciences ethniques sont en faveur auprès des dramaturges.