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lui-même n’a cessé de se tenir pour purement Italien : de telle sorte que l’on ne saurait nous faire un reproche d’avoir laissé à l’Italie tout le soin de la célébration de son sixième centenaire. Encore n’ai-je pas vu que, parmi les compatriotes de l’auteur du Décaméron, cet anniversaire eût fait surgir des travaux biographiques ou critiques comparables à ceux qu’avait naguère provoqués le sixième centenaire de Pétrarque[1]. Seul, un volume nouveau de M. Francesco Torraca, intitulé : Pour la Biographie de Jean Boccace, et formé d’une série de courtes « notes » sur divers points de détail, mérite cependant d’être signalé à l’attention de tous les curieux de littérature italienne. Avec une simplicité, une franchise, et une sûreté remarquables, M. Torraca s’emploie à détruire telles légendes anciennes, ou bien parfois à réfuter telles hypothèses trop présomptueuses de la critique contemporaine. Je ne puis songer à le suivre aujourd’hui dans le détail de ses discussions touchant la date exacte d’un bon nombre de lettres de Boccace, et la vraie portée autobiographique de quelques-uns de ses plus célèbres récits. Tout au plus me permettra-t-on de résumer très rapidement, avant de finir, le curieux chapitre que M. Torraca appelle : La prétendue trahison de Fiammetta.


Fiammetta est l’héroïne fameuse d’une longue et touchante nouvelle de Boccace, écrite par lui avant le Décaméron (sans doute aux alentours de 1343), et que maints juges autorisés placent au premier rang de l’œuvre du conteur ; mais tout le monde paraît aujourd’hui s’accorder à reconnaître que ce personnage idéal a été composé d’après une figure parfaitement réelle, et qui même avait joué un grand rôle dans la vie de Boccace. Celui-ci nous a décrit, sous le nom de Fiammetta, une jeune et belle maîtresse dont il avait eu la chance d’être aimé pendant les années de son séjour à Naples. Elle s’appelait Maria d’Aquino, était fille naturelle du roi Robert, et avait épousé l’un des principaux dignitaires de la cour napolitaine. Le fils du négociant florentin l’avait rencontrée pour la première fois un certain soir de samedi saint, et n’avait point tardé à devenir son amant. Dans la nouvelle écrite dix ans plus tard, et consacrée au récit de ses amours avec Fiammetta, il nous a représenté celle-ci abandonnée, en fin de compte, par son cher Pamfilo, et ne pouvant se consoler de cet abandon. Mais la plupart de ses biographes nous affirment que c’est également Fiammetta, ou pour mieux dire Marie

  1. Voyez à ce sujet, la Revue du 15 septembre 1901.