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fois renouvelés, les pierres se disloquèrent enfin et l’équipe cria victoire.

« — Ah ! mon vieux, dit un des ouvriers, ça y est tout de même. N’empêche qu’ils construisaient bien à cette époque !

« — Bien sûr, ajouta un autre, qu’ils ne croyaient pas qu’un jour on oserait démolir leur église. S’ils voyaient ce qu’il en reste aujourd’hui !

« Sur ces entrefaites arrivèrent une bande d’enfans qui sortaient de l’école et le garde champêtre.

« — Ah bien ! dit celui-ci, ça me semble qu’on a travaillé ferme ce tantôt... Avez-vous trouvé quelque chose ?

« — Oui, répondit un terrassier, une pièce en bronze, une vieille pièce de... 1610. Le patron était si content qu’il nous a payé un litre.

« Le patron, ce n’est pas, comme on pourrait le croire, l’entrepreneur. Le « patron, » c’est monsieur le maire.

« — Ça ne m’étonne pas, reprit le garde champêtre il se doutait bien qu’il devait y avoir quelque chose, là, car pendant ton déjeuner il est venu fourgonner avec sa canne... Au fait, as-tu regardé dans ce creux ? Ça doit être encore un macchabée ?

« Le terrassier commença de piocher. Les gamins se dissimulèrent derrière un tas de décombres pour n’être pas chassés au bon moment. Sous les coups de pioche, le carrelage de l’ancienne nef s’écroula, et, la terre s’éboulant, des ossemens humains apparurent. Alors, laissant là leurs outils, les ouvriers arrachèrent avec les mains les restes de ceux qu’on avait autrefois déposés dans l’église. On sortit d’abord un crâne qui, percé d’un coup de pic, fut lancé au loin. Puis on déterra l’os iliaque et les fémurs, énormes.

« — Celui-là, dit un des ouvriers, il était costaud... Ah ! mon vieux, le ratichon il ne croyait pas qu’on viendrait le sortir de là... Attends un peu, on va lui faire danser un rigodon.

« Alors, tenant entre ses genoux l’os iliaque, il y ajusta les fémurs qu’il agita ensuite en cadence, tout en sifflant. Les autres riaient.

« J’en avais assez, j’ai fui. »


Il n’est pas acceptable que de telles scènes passent sans protestation et flétrissure. Je dois suivre mon sentiment intérieur.