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dégoûté de l’Allemagne par la difficulté de s’y créer une situation, Villers avait fait le projet de partir pour Saint-Pétersbourg où un de ses frères servait dans l’armée russe. Pour s’embarquer, il gagna Lubeck. Mais à Lubeck, il retrouva Dorothée Schlötzer, devenue la femme d’un gros bourgeois de la ville, le sénateur de Rodde. Elle eut l’art de le retenir, et même de le fixer à Lubeck, où il s’établit définitivement. Désormais la vie de Villers devient inséparable de celle de Mme de Rodde, sans que le mari de celle-ci paraisse y avoir trouvé à redire. Le sénateur de Rodde, Mme de Rodde et Villers constituent une sorte de ménage à trois, comme on en voyait parfois au XVIIIe siècle. Villers vit et voyage avec eux, soit qu’il accompagne le sénateur et sa femme dans leurs pérégrinations, soit au contraire que Mme de Rodde voyage seule avec lui. C’est à elle que, mourant en 1845 d’une mort prématurée, il laissera tous ses papiers. Elle veillera avec sollicitude sur sa mémoire ; c’est à elle que les biographes de Villers s’adresseront, et elle finira par léguer tous les papiers de Villers à la bibliothèque de Hambourg où ils sont encore aujourd’hui.

De ce premier séjour à Gœttingue où Villers devait revenir à la fin de sa vie, puis de son établissement à Lubeck date l’enthousiasme de Villers pour la littérature allemande qu’il allait bientôt communiquer à Mme de Staël. Revenant onze ans après sur cette époque de sa vie, il écrivait :

Né Français, j’ai été nourri de lectures françaises et longtemps je fus passionné pour la littérature de mon pays. Quand je commençai à pénétrer dans le sanctuaire des muses teutoniques, je fus frappé d’étonnement de tout ce qui s’offrait à ma vue. Heureusement que je n’étais pas encore pétrifié dans les formes françaises, qu’il me restait quelque réceptivité et que j’étais encore susceptible de fusion. Je me sentis donc bientôt saisi de respect et d’admiration pour ce qui, avant de le connaître, m’avait semblé, comme à tant d’autres, mériter assez peu d’attention[1].

La réceptivité et l’admiration de Villers se traduisirent par un certain nombre d’articles qu’il publia dans le Spectateur du Nord, journal qu’un émigré, Baudus, faisait paraître en français à Hambourg, -mais qui comptait un certain nombre d’abonnés en France. Les articles de Villers portaient surtout sur les questions philosophiques ; il y était fréquemment question de

  1. Wittmer, op. cit. p. 14.