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La Révolution survint. Villers traversa une courte période d’enthousiasme, mais, bientôt, dégoûté des excès dont il était témoin, il publia coup sur coup plusieurs brochures contre-révolutionnaires, qui rendirent sa situation périlleuse, d’autant qu’il était poursuivi par la haine du mari de Mme Anthoine, devenu un personnage politique important. Aussi prit-il son parti d’émigrer à la fin de 1792, et d’aller rejoindre l’armée de Condé. Après la défaite des troupes royalistes, il crut pouvoir rentrer en France ; mais aussitôt dénoncé, il émigra de nouveau et cette fois définitivement, en ce sens du moins qu’il ne devait plus revenir en France qu’à de rares intervalles et toujours pour un temps très court, car il fit sa patrie de l’Allemagne, Après avoir erré quelque temps de ville en ville, il finit, en 1796, par s’établir à Gœttingue et, bien qu’âgé de trente et un ans, il s’inscrivit comme étudiant à l’Université qui comptait des professeurs alors célèbres en Allemagne.

Au nombre de ces professeurs se trouvait l’historien Schlötzer. Schlötzer avait une fille qui répondait au prénom de Dorothée. Mlle Dorothée Schlötzer était elle-même doctoresse de l’Université. Elle se prit de tendresse pour cet étudiant un peu mûr, et, dit un des biographes de Villers[1], « elle entreprit avec succès de le germaniser. » Cependant elle se défendit toujours modestement de l’influence qu’elle avait exercée sur lui, car, bien des années après, en réponse à l’un des rédacteurs de la Biographie Michaud, qui lui demandait des renseignemens pour consacrer à Villers une notice, elle écrivait : « Je serais obligée de trop parler de moi, ce que je ne puis faire, car, vraiment, une bien petite part me revient de son initiation à la littérature allemande. »

De son côté, Villers aidait Dorothée à se « franciser » et trouvant sans doute qu’on lui enseignait le français d’une façon trop pédante, il écrivit à son intention un petit traité intitulé : Lettre à Mlle D. S. sur l’abus des grammaires dans l’étude du français et sur la meilleure méthode d’apprendre cette langue. Cette initiation littéraire et grammaticale réciproque fut l’origine d’une relation qui, après une courte période de séparation, se renoua et se fortifia au point de les enchaîner pour toujours l’un à l’autre. Après dix-huit mois de séjour à Gœttingue,

  1. Charles de Villers, par Louis Wittmer, p. 15.