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Villers ? Assurément elle dut se le demander avec quelque anxiété le soir où, sur les six heures, elle débarquait à l’hôtel de Pont-à-Mousson. Lorsque deux personnes se sont à distance, mais sans se connaître véritablement, prises de goût l’une pour l’autre, lorsqu’elles ont échangé des lettres, des impressions, des idées, lorsque, après avoir fait un effort réciproque, elles sont au moment de se rencontrer, il doit y avoir, à la veille de cette rencontre, un sentiment d’inquiétude et, à l’instant même, un moment de gêne. Mme de Staël était de nature trop ouverte et trop expansive pour que pareille gêne pût durer longtemps avec elle, et bien qu’il fût, à en juger du moins par ses lettres, de nature un peu contrainte et revêche, il ne paraît point que Villers ait causé de déception à celle qui s’était détournée de sa route pour le voir. Sans avoir l’éblouissante conversation de Mme de Staël, Villers était, tous ceux qui l’ont approché l’affirment, un brillant causeur. Piqué au jeu, il dut se mettre en frais, car Mme de Staël écrivait à Gérando[1] : « Ce qui me plaît à Metz, c’est Villers à qui je trouve vraiment beaucoup d’esprit, et je vous recommande de tirer parti de cet esprit cet hiver ; il a toutes les idées de l’Allemagne du Nord dans la tête. » Or c’était précisément les idées de l’Allemagne que Mme de Staël venait demander à Villers. Celui-ci s’efforçait de lui faire partager son admiration pour la littérature et la philosophie allemandes ; Mme de Staël ne s’y refusait point, mais prenait cependant contre le dénigrement systématique de Villers la défense de la France. Entre ces deux champions de deux littératures si différentes ce devait être un échange de propos étincelans. On regrette qu’il ne subsiste rien de ces conversations et qu’aucun Eckermann ne se soit trouvé là pour en rapporter quelques bribes. Benjamin Constant y assistait bien de temps à autre ; un peu jaloux peut-être de l’ascendant que Villers semblait prendre sur l’esprit de Mme de Staël, il se plaisait même à les mettre aux prises, ce qui ne devait pas être difficile, car Mme de Staël était vive et Villiers était cassant. Mais avec Mme de Staël les querelles n’étaient jamais de longue durée, car elle était aussi prompte à pardonner qu’à s’offenser. Sa nature généreuse faisait volontiers le premier pas dans la voie des réconciliations, comme en témoignent les deux billets suivans. Le premier

  1. Lettres inédites, etc. publiées par le baron de Gérando, p. 60.