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est daté du 30 octobre, c’est-à-dire quatre jours après son arrivée :

Je vous assure que ma vivacité d’hier venait de la crainte que vous ne sussiez pas assez combien j’étais exclusive dans mes sentimens, quoique je fusse un peu universelle dans ma bienveillance. Si vous n’avez pas compris cela, vous le comprendrez, car, comme il est vrai que j’attache un grand prix à votre amitié, vous finirez par le croire. J’ai toujours persuadé ce que j’éprouvais. Adieu. À midi.

La seconde est du 6 novembre, deux jours avant son départ :

Benjamin prétend que vous êtes revenu ne m’aimant plus du tout parce que je vous avais tourmenté sur le (petit Castillan ?) Je sais bien que Benjamin ne se plaît que dans la guerre civile, mais je ne pense pas me coucher avec cette inquiétude. Venez m’assurer que mes mauvaises plaisanteries ne m’ont pas ôté une ligne de cette affection à laquelle j’attache à chaque instant plus de prix[1].

Ces conversations n’occupaient pas tous les instans de Mme de Staël. Villers lui faisait les honneurs de la ville. Ensemble ils visitaient la cathédrale et la synagogue. Mais des nuits sans sommeil avaient mis Mme de Staël dans un état nerveux qui transformait tout pour elle en impressions pénibles.

Ces tombeaux dans la cathédrale, ces cris aigus dans la synagogue, écrivait-elle à son fidèle ami Mathieu de Montmorency, tout agissait sur moi et j’avais une terreur de la vie qui ne peut se peindre. Il me semblait que la mort menaçait mon père, mes enfans, mes amis, et ce sont des sensations de ce genre qui doivent préparer le désordre des facultés morales. Pourquoi vous peindre, cher Mathieu, un si misérable état ? Mais mon âme va se réfugier dans la vôtre et j’ai pour vous de ce sentiment que vous inspirent les personnes en qui vous vous confiez et que vous croyez meilleures que vous[2].

IV

C’était surtout dans l’âme de son père que Mme de Staël cherchait un refuge. La correspondance continuait, singulièrement active, entre le père et la fille, qui ne laissaient passer aucun

  1. Briefe von, etc. p. 290. Je reproduis cette lettre d’après la publication de M. Isler, mais je doute fort qu’il y ait dans l’original : je ne pense pas me coucher, « C’est plus probablement : « je ne peux pas… »
  2. Sainte-Beuve, Nouveaux Lundis, t. XII, p. 300.