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mais comme des êtres sociaux, ayant des besoins, des aspirations dont il convient de tenir compte, ils le doivent peut-être à mon exemple. Ils ont étudié l’Arabe de la même façon que j’avais étudié l’Espagnol, l’Italien, le Français, tous nos Latins d’Afrique.


Parmi les étrangers, c’est l’Espagnol, je l’avoue, qui m’attirait le plus et qui me paraissait le plus sympathique. J’accorderai même qu’il y avait, dans cette préférence, quelque partialité.

Nous autres Lorrains, nous avons un penchant secret pour l’Espagne. Le Nord de noire pays a été longtemps sous la domination des Rois catholiques, et il n’est point indifférent pour nous d’être issus d’une race de soldats quia guerroyé, plusieurs années de suite, dans la Péninsule. Nous avons presque tous un grand-père ou un grand-oncle qui a été blessé à Saragosse, ou fait prisonnier à Pampelune.

Pour moi, je crois me souvenir d’avoir été Espagnol. Je suis né tout près de Damvillers, petite ville du pays montmédien, une des dernières citadelles de l’Espagne en terre lorraine. Elle retint longtemps devant ses murs les armées de Louis XIV, et ne fut définitivement rattachée à la France qu’après le Traité des Pyrénées. Sans doute, les garnisaires d’origine espagnole se trouvaient en petit nombre dans cette région de la Meuse. Gouverneurs et soldats étaient souvent des enfans du pays, comme ce Jean d’Allamont, qui défendit si gaillardement Montmédy contre le maréchal de La Ferlé. Mais il faut croire que les aventuriers ibériques y essaimèrent au passage et que quelques-uns s’y établirent. On voit assez fréquemment, chez nous, des cheveux noirs et des teints bistrés, qui jurent avec les joues fraîches et les moustaches couleur de seigle des purs autochtones. Et, justement, chaque fois que je m’arrête au musée du Luxembourg, devant la paysanne au repos de Bastien-Lepage, le peintre de Damvillers, je suis frappé par tout ce qu’il y a d’espagnol dans cette face osseuse et noiraude. Les yeux surtout sont révélateurs. Ce ne sont pas des yeux de Lorraine. Par des chemins dont nous avons perdu la trace, ils viennent de Galice ou d’Estramadure. On les retrouve, ces gros yeux noirs, dans les figures carrées aux pommettes saillantes des