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naines ou des servantes, que Velazquez a placées aux arrière-plans de ses tableaux.

Il n’est pas jusqu’à la forme très particulière de nos clochers montmédiens qui ne me rappelle celle des clochers espagnols. Lorsque j’errais dans les villages de la province de Valence, j’étais tout étonné d’y rencontrer les églises de mon enfance… Amol, Senon, Gouraincourt, tristes bourgades, s’évoquaient subitement, pour moi, au grand soleil presque africain de Jativa ou de Castellon-de-Rugat.

Je ne me dissimule pas ce qu’il y a de personnel dans ces impressions. Pourtant, les sympathies de mes compatriotes pour l’Espagne me paraissent aussi générales qu’évidentes. Hugo, le grand Lorrain, l’auteur d’Hernani, de Ruy Blas, de la Rose de l’Infante, du Petit Roi de Galice, nous en fournirait peut-être la preuve la plus saisissante. Mais nous n’aimons pas seulement l’Espagne pour sa couleur, la vigueur de son tempérament, l’énergie passionnée de ses mœurs. Son âpreté et sa rudesse même ne nous déplaisent point. Le chardon de Lorraine a toutes les pointes et tous les hérissemens du cactus andalou. Ce qui nous agrée surtout, dans le caractère espagnol, c’en est le sérieux, la gravité, le dédain de la fioriture, le goût profond des réalités. Nul peuple plus réaliste que celui-là, dont l’imagination épuise tout le réel, dépasse les sens, et, même dans les hautes régions mystiques, veut encore toucher des formes concrètes, facilement accessibles à l’esprit.

Comparés aux trois ou quatre grands peintres de l’Espagne, les Italiens ne sont plus, pour nous, que des décorateurs, des conteurs diserts qui ne se soucient point de nous dire la vérité. Au contraire Velazquez nous ravit, parce que, non seulement il restitue, jusqu’au trompe-l’œil, toutes les apparences de la réalité, mais qu’il nous introduit, si l’on peut dire, de l’autre côté de la toile. Comme l’amateur d’instantanés, il choisit une scène de la rue ou de l’atelier, dans cette scène le moment le plus fugace ; et, grâce à on ne sait quel miracle de conscience et de véracité, cette scène triviale se hausse jusqu’au mythe, cette minute semble fixer et trahir l’âme ondoyante et secrète d’un être ou d’une époque.

Enfin, ce que nous pouvons tous aimer de l’Espagne, — et ce que j’en aimais par-dessus tout, — c’est qu’elle repousse et décourage la badauderie du touriste. On n’y voyage point commodément.