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Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 18.djvu/597

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une masse immense et confuse, où l’on devinait comme une ressemblance avec les frocs cuirassés de la Ligue. Mais, quand il eut rallié toutes les forces de la contre-révolution, attiré les mécontens de la République, soulevé enfin devant lui tout ce qu’un coup de vent de l’opinion peut emporter de poussière humaine, il dressa son front immense et bigarré, et prit le nom brillant de nationalisme…


Ce n’est ni Henri Brisson, ni Arthur Ranc, ni M. Combes qui parle ainsi ; c’est M. Anatole France lui-même, dans une Préface qui lui fera, je le crains, peu d’honneur aux yeux de la postérité, et qu’il a écrite, en 1904, pour un recueil de discours… de M. Combes en personne[1]. Oui, le délicat auteur du Crime de Sylvestre Bonnard a éprouvé le besoin de prononcer publiquement l’apologie de l’homme qui, depuis vingt ans, a fait assurément le plus de mal à son pays, il a loué « la probité de son esprit, » « la fermeté de son caractère, » « son goût pour la simplicité, l’ordre et la clarté. » « Dans sa petite maison blanche de Pons où se voit encore la sonnette du docteur (car il pratiqua longtemps la médecine), M. Combes passe ses vacances en promenades et en lectures. Il sait les langues anciennes et il aime, m’a-t-on dit, les orateurs et les historiens grecs. Il a raison. Les Grecs ont ce mérite, entre autres, de garder la juste mesure et de n’être jamais excessifs. M. Combes les suit en cela… » En d’autres termes, M. Combes est un attique, et il est mûr sans doute pour l’Académie… Ariel, gentil et subtil Ariel, qu’avez-vous donc fait aux Muses pour qu’elles vous aient abandonné, et qu’elles vous aient laissé, si loin d’elles, monter sur les tréteaux de Caliban ?

Donc, ce gracieux joueur de flûte s’est réveillé un beau jour radical-socialiste, et, chose plus grave, il l’est resté. Hier encore, n’appelait-il pas aux armes « contre le parti noir » les Jeunesses laïques, et, prenant les tristes fantômes de ses sombres rêveries pour d’abominables réalités, ne leur dénonçait-il pas une fois de plus l’éternel péril clérical ? « Déjà, s’écriait-il, angoissé, déjà l’on parle d’un général pour en faire un diplomate et l’envoyer négocier au Vatican[2]. » Et je ne puis rappeler en quels

  1. Émile Combes, Une campagne laïque, 1902-1903, préface par Anatole France. Paris. Simonis Empis, 1904, in-8, p. V-VI. — Comme il ne faut rien perdre, une bonne partie de cette Préface a été reproduite par M. France dans son livre l’Église et la République, éditions d’art Édouard Pelletan. Paris, 1904, p. 32 et suivantes.
  2. L’Humanité du 4 septembre 1913.