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termes peu académiques il flétrissait dans l’Humanité les auteurs responsables de la loi de trois ans[1]. Depuis une quinzaine d’années, il n’est pas une des manifestations publiques de son nouveau parti auquel il n’ait pris part. Il ne s’est pas contenté de signer d’innombrables et souvent fâcheuses affiches : il a présidé des banquets et des meetings, des réunions électorales ; il a inauguré des universités populaires, des » soirées ouvrières, » des « restaurans coopératifs, » des « imprimeries communistes ; » il a porté des toasts, prononcé des allocutions ou de grands discours, ou bien, quand il ne pouvait rehausser de sa présence réelle fêtes ou assemblées, il envoyait des encycliques qui étaient lues avec recueillement. Pas de cérémonie « laïque, » pas de réunion radicale ou socialiste qui, depuis quinze ans, ne soit bénie par M. France, ne soit honorée d’un mandement de lui : la prose de Sylvestre Bonnard est l’un des « numéros » nécessaires du programme, presque au même titre que l’Internationale. Il est l’ « Ecrivain, » il est le « Penseur, » il est le « Mage » du parti ; parlons-en mieux : il est devenu, comme le disait si joliment Dumas fils de Renan, une sorte de Pape de la libre pensée. Ah ! maître Jérôme Coignard, si l’on avait votre ironie, comme on pourrait s’amuser de vous voir officier sous ce costume !

Nous ne recueillerons pas tous ces propos de table, et nous ne nous attarderons pas à les discuter bien longuement : aussi bien ils se réfutent par leur violence même. Traiter de « fourbes » et d’ « hypocrites[2] » ceux qui ne sont pas de notre avis, ce n’est peut-être pas faire preuve d’une grande sérénité philosophique. Définir Thiers « un petit vieillard habile, égoïste, cruel, qui défendait la République sans générosité, sans honneur, mais âprement et subtilement comme son bien[3], » ce n’est probablement pas porter sur le « libérateur du territoire » le jugement qu’en portera l’histoire. Appeler Godefroy Cavaignac « sinistre Gribouille qui, de peur du méprisable orage dont le menaçaient les criminels, va se noyer dans leur crime[4], » c’est sans doute une injure, ce n’est pas une définition. Et enfin qualifier de « criminel, » et cela non pas seulement dans un

  1. L’Humanité du 23 mai 1913.
  2. Vers les temps meilleurs, éditions d’art Edouard Pelletan, 1906, t. I, p. 64.
  3. L’Église et la République, éditions d’art Edouard Pelletan, 1904, p. 31.
  4. Vers les temps meilleurs, t. I, p. 12.