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du grand séminaire un élève trop subtilement indiscipliné du nom de Firmin Piédagnel :


Il regarda M. Lantaigne. La douceur résolue, la tranquillité ferme, la quiétude de cet homme le révoltèrent. Soudain, un sentiment naquit et grandit en lui, le soutint et le fortifia, la haine du prêtre, une haine impérissable et féconde, une haine à remplir toute la vie. Sans prononcer une parole, il sortit à grands pas de la sacristie.


A l’âpreté soudaine de l’accent, on devine que M. France parle ici en son propre nom. Je ne pense pas qu’il ait été, au collège Stanislas, l’objet d’une mesure aussi grave que celle dont il vient de nous entretenir ; mais n’aurait-il pas été, dans sa jeunesse, ou ne se serait-il pas cru la victime de quelque injustice ou de quelque maladresse ecclésiastique ? En tout cas, cet enfant qui « n’avait ni l’esprit théologique ni la vocation du sacerdoce, » dont « la foi même était incertaine, » cette « âme à qui le doute était tolérable et léger, et dont les pensées coulaient à l’irréligion var une pente naturelle, » cet « esprit tranquillement indocile, » « ingénieux, » « dissimulé par politesse, » et qui « n’avait retenu de l’enseignement du séminaire que des élégances de latinité, de l’adresse pour les sophismes et une sorte de mysticisme sentimental[1], » si cet enfant-là, de son vrai nom ne s’appelle pas, non pas Firmin Piédagnel, mais Anatole Thibault, je veux que M. France ne se soit jamais peint dans ses livres. Et si l’assimilation est légitime, à l’exemple de tant d’autres anticléricaux élevés par des prêtres, ah ! comme il a eu la rancune vivace !


II

Sortons de ce « bain de haine » où nous a plongés la lecture des opuscules politiques ou sociaux, ou plutôt socialistes de l’auteur de Thaïs. Hélas ! nous ne le pourrons pas complètement. A l’inverse de M. Jules Lemaître qui, lui, n’a rien, ou presque rien laissé passer de ses expériences et de ses conceptions politiques dans ses œuvres d’imagination, M. Anatole France n’a

  1. L’Orme du mail, p. 16, 17, 27. — Ce qui achève de me faire croire que cette histoire de Firmin Piédagnel a une valeur autobiographique, c’est que M. France l’a reproduite, presque intégralement, dans ses Opinions sociales, (Paris, Société nouvelle de librairie et d’édition, 1902, l. Il, p. 103-108.)