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pas su se dédoubler, et nous retrouverons trop souvent le préfacier de M. Combes dans les romans et les contes qui ont suivi l’Affaire.

Et d’abord, dans les quatre volumes qui composent l’Histoire contemporaine. Sont-ce bien des romans que ces livres qui s’intitulent l’Orme du mail (1897), le Mannequin d’osier (1897), l’Anneau d’améthyste (1898), M. Bergeret à Paris (1901), et où l’on voit reparaître toujours les mêmes personnages, saisis dans des attitudes parfois identiques et parfois différentes ? Ce sont plutôt des « chroniques, » suivant le mot qu’employait M. France lui-même pour désigner son premier roman[1] : des chroniques non pas peut-être d’ « histoire contemporaine, » mais de mœurs provinciales d’aujourd’hui, écrites par un Parisien artiste, observateur et ironiste ; chroniques souvent bien décousues, presque toujours trop longues, et qui ne savent comment finir, mais chroniques quelquefois bien amusantes, et d’où se détachent maintes scènes lestement enlevées, maintes physionomies inoubliables.

Les scènes de libertinage, — elles sont nombreuses, et elles n’ont pas peu contribué au succès de l’ouvrage, surtout à l’étranger, — y sont admirables. M. Anatole France est passé maître dans l’art de tout dire, ou de tout laisser entendre, — je dis tout, — presque sans un mot cru, sans un geste brutal, en phrases gentiment papelardes et innocemment perfides, qui déshabillent sans qu’on y songe, et dont l’audace n’apparaît qu’à la réflexion. Il sait être grivois avec décence : c’est une grande force pour un conteur. Et les scènes aussi où il fait parler les prêtres, sont, généralement, bien savoureuses : celle, par exemple, où Mgr Charlot, pour s’épargner l’ennui de répondre à une démarche gênante de l’abbé Lantaigne, feint de le consulter au sujet d’une fausse histoire de pendu et le renvoie sans l’avoir laissé parler, celle aussi où l’abbé Guitrel intéresse à ses ambitions épiscopales un jeune baron juif un peu snob, sont de délicieuses scènes de comédie ecclésiastique. Comme le disait M. Jules Lemaître de certaines pages de Ferdinand Fabre, il n’y a là pas une phrase qui ne porte la soutane. Et nous ne sommes pas loin d’éprouver pour le peintre la « surprise mêlée d’admiration » que la diplomatie sacerdotale de M. l’abbé Guitrel inspire au jeune Bonmont.

  1. « J’y ai joint (à Jocaste) une petite chronique, que nous nommerons, si vous voulez, le Chat maigre. » (Jocaste et le Chat maigre, 1re édition, préface)