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il parle de son « état pathologique, » — une perpétuelle hallucinée, et il admet comme une chose évidente que ses « perceptions de l’ouïe et de la vue » sont « fausses » de tous points. « Une automate, perpétuellement hallucinée, qui n’obéit qu’aux suggestions des clercs, incapable de sentimens propres et d’initiative personnelle, et qui n’a même pu concevoir d’elle-même l’idée qu’un prince français n’est roi que lorsqu’il est sacré, et qu’il faut avant tout le conduire à Reims, est-ce là vraiment la Jeanne d’Arc de la vérité et de l’histoire ? On nous permettra encore d’en douter. » C’est un historien de métier peu suspect de « cléricalisme, » c’est un médiéviste ici qui par le ; c’est Achille Luchaire, et on ne peut que lui donner raison.

Pour ma part, je l’avoue, ces façons de raisonner m’étonnent toujours. Comment ne voit-on pas qu’elles éludent, qu’elles ajournent la difficulté, disons mieux, qu’elles l’escamotent, mais qu’elles ne la suppriment pas ? — C’est un clerc qui a suggéré à Jeanne sa mission ? — Pourquoi un clerc ? et quel est donc le nom de ce clerc mystérieux ? Et pourquoi a-t-il fallu une Jeanne d’Arc pour réaliser son plan de salut ? Mais n’insistons pas sur tout ce qu’il y a de vague, d’arbitraire, et même de fantaisiste, et en tout cas, d’hypothétique et de conjectural, — de l’aveu même de M. France, — dans ces explications soi-disant « rationnelles. » Accordons à l’historien de la Pucelle tout ce qu’il veut ; accordons-lui même plus qu’il ne demande, et acceptons comme faits prouvés, vérifiés, inattaquables, toutes les hypothèses qu’il présente. C’est entendu : Jeanne d’Arc a été toute sa vie un instrument entre les mains des prêtres. On lui a suggéré sa mission et ses voix. On lui a inspiré, dans le plus petit détail, tout son plan de campagne. C’était une hallucinée, une des pénitentes du frère Richard, comme la Pierronne, comme Catherine de la Rochelle. C’était une hystérique notoire... Et puis après ? Qu’est-ce que cela prouve ? En est-il moins vrai qu’une simple « bergerette » a fait ce que tant d’autres n’ont pas su, pu, ou voulu faire ? En est-il moins vrai qu’une enfant de dix-huit ans, en écoutant ses voix, a traversé la moitié de la France pour aller trouver son « gentil » dauphin à Chinon, qu’elle a fait lever le