Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 18.djvu/638

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

connaissance parfaite du pays. Grâce à votre audace et à votre sang-froid, je ne doute pas que chaque rencontre sera un échec pour les partis de turbulens qui voudraient troubler la paix. Ils se lasseront plus tôt que nous, et d’ailleurs votre camarade Merton saura bien nous indiquer, avec le Service des Renseignemens qu’il a déjà organisé, les points vulnérables où nous devrons frapper. En résumé, c’est loin de nos murailles que nous défendrons le poste et ses cliens. La force d’attraction ou de résistance de Sidi-Kaddour réside surtout dans les jambes de ses soldats, et non dans la hauteur de ses remparts. »

Pendant ce discours, les physionomies s’étaient peu à peu illuminées ; un murmure joyeux ponctua la péroraison. Un sous-lieutenant « fit calot » avec la fougue enthousiaste du saint-cyrien déchaîné. Ainsi, la garnison de Sidi-Kaddour allait échapper au cauchemar des factions peureuses, des alertes incessantes où les canons riposteraient coup pour coup aux fusils des dissidens. On allait faire œuvre de soldats, et non pas seulement de terrassiers ; on se griserait d’espace, d’initiative et peut-être de gloire, au lieu de se terrer derrière des fortifications patiemment renforcées, ou de se consumer dans les fastidieuses escortes des convois. A l’époque des tâches obscures au sein de timides collectivités succédait enfin l’ère des efforts individuels avec leurs risques et leurs joies. C’était, pour les vétérans de l’A.O.F. de Madagascar ou du Tonkin, le retour à la tradition connue, a l’emploi des moyens moraux plus efficaces encore que la force brutale, où l’adresse du diplomate est plus prestigieuse que l’intrépidité du guerrier. Seuls quelques « vieux marocains, » longtemps suggestionnés par une ambiance déprimante, hochaient gravement la tête et prédisaient mentalement les pires catastrophes. Et tandis qu’Imbert réglementait la vie intérieure du poste, distribuait à chacun son rôle d’après ses aptitudes, ils le contemplaient avec commisération et chuchotaient entre eux : « Le commandant se croit toujours dans un pays de Chinois ou de nègres ! Vous verrez que la première reconnaissance va se faire chaudement accrocher, et ça finira par du vilain !... »

Merton, lui, exultait. Tard venu dans le « Service des Renseignemens, » les augures de cette administration vénérable l’avaient accueilli avec défiance. Ils faisaient souvent des gorges chaudes sur ce tringlot égaré dans leurs bureaux. Ils doutaient de son savoir-faire, et Merton qui avait longtemps piétiné dans