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sur la physionomie de son ami l’appréhension des lendemains et le souci des responsabilités. « Pour la première fois, depuis les débuts de la grande colonne, je commence à respirer. Sans plus tarder, puisque tout le monde est sur le pont, je vais régler le programme des réjouissances. » Et se tournant vers un soldat qui béait, les yeux perdus dans le vague, il commanda : « Clairon, aux officiers ! » Les notes alertes jaillirent aussitôt sous le souffle puissant du marsouin, attirant vers la plate-forme les officiers empressés. Pointis, par discrétion, esquissa un mouvement de retraite : « Restez donc, cher ami, lui dit Imbert, qui serrait avec cordialité les mains des arrivans. Ces messieurs savent que vous êtes des nôtres ; vous êtes aussi le seul représentant respectable, à Sadi-Kaddour, de la colonisation française en l’honneur de laquelle nous, guerriers, cherchons à pacifier le Maroc. Et ce que je dois dire n’a rien de mystérieux. » Pointis remercia et se fit tout petit derrière les officiers qui traçaient déjà autour d’Imbert un cercle d’auditeurs déférens.

Imbert les dénombra du regard. Tous étaient là. Le hasard avait vraiment bien fait les choses, car ce groupement fortuit d’officiers aurait satisfait le chef le plus exigeant. Jeunes et robustes, ils avaient acquis déjà sous d’autre cieux l’expérience des hommes et le goût du danger ; leurs yeux reflétaient un désir intense de lutte et de mouvement. Ils s’offraient sans réserve pour travailler à la tâche commune, et ce qu’ils entendirent combla d’aise les plus ardens :

« Messieurs, disait Imbert, la colonne des Zaër a passé ; nous restons pour compléter son œuvre. Quelques tribus ont accepté de déposer les armes. Non loin de nous, vers l’Est, de nombreux rebelles ont suivi les Bou-Acheria, réfugiés chez les Zaïan, qui préparent leur revanche et tenteront d’obtenir par la crainte la défection des nouveaux ralliés. Or, nous sommes assez forts pour transformer cette trêve précaire en paix définitive. Nous devons donner aux douars soumis la conviction de leur sécurité ; il faut que les agens de désordre nous trouvent sans cesse en travers de leurs projets. Sans cesse, des reconnaissances sillonneront le district ; elles auront des effectifs variables, pour que chacun de vous puisse affirmer ses qualités de chef. Le plus habile topographe d’entre vous dressera une carte détaillée qui nous dispensera bientôt de guides et nous permettra de suppléer à la mobilité de nos adversaires par une