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l’union devenait, plus sincère et plus complète entre le poste et les tribus.

D’ailleurs, Imbert avait trop couru le monde et Merton avait trop l’expérience des mœurs arabes pour attribuer le loyalisme apparent de leurs nouveaux administrés à leur sympathie ou leur reconnaissance. Ils laissaient cette candeur aux utopistes naïfs de la métropole qui rêvent d’une colonisation idyllique par des Français aimés pour eux-mêmes. Ils comptaient beaucoup plus sur l’estime issue de la crainte que sur la fidélité fille de l’affection pour étendre leur influence et ruiner les illusions des ennemis du protectorat. Les randonnées lointaines, avec trois ou quatre cavaliers pour toute escorte, étaient, avec la circulation incessante des troupes, les moyens préférés d’Imbert pour « épater » ses cliens et susciter chez les voisins une incessante et craintive émotion.

Pointis ne manquait jamais d’y assister. Il faisait toujours dans ces chevauchées quelque découverte intéressante. Et si parfois Imbert ou Merton tentaient de le retenir au poste en alléguant les risques de l’expédition, il protestait avec simplicité : « Laissez donc ! S’il y a du danger, ma carabine ou mon revolver ne sera pas de trop. » On cédait à ses instances, et la cavalcade s’éloignait du poste en trottinant, comme pour une promenade sans but précis. Mais au premier berger ou guetteur qu’elle rencontrait Imbert posait des questions banales, qui se terminaient par une invite formelle à servir de guide vers un but que l’autre se hâtait de déclarer périlleux : « Je ne connais pas le chemin ! — Bah ! viens toujours, disait Imbert, nous chercherons ensemble ! — Mais de mauvaises gens rôdent par là. Tu recevras des coups de fusil. — Tous les coups de fusil ne tuent pas, et nos carabines sont meilleures que les fusils ! » Maté, l’autre enfourchait son cheval. L’œil et l’oreille aux aguets, il précédait la petite troupe qui explorait ainsi les sites les plus mal famés de la vallée du Grou, des confins montagneux du pays Tadla, et revenait toujours au poste sans incidens. Mais ces pointes hardies étaient commentées le lendemain dans les douars, et les habitans croyaient qu’Imbert possédait une « barraka » qui lui permettait de tout oser.

En quelques semaines, cette agitation méthodique donnait au secteur une sécurité absolue. Les douars des tribus frontières. jusqu’alors tassés autour du poste, se dispersaient sur des terrains