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abandonnés pendant de longues années. Des champs incultes depuis le règne d’Abd-el-Aziz étaient défrichés par des laboureurs diligens ; les immenses troupeaux, confiés durant la siba aux tribus soumises ou neutres, étaient revenus chez leurs maîtres et couvraient de leurs taches jaunâtres les maigres pâturages des plateaux. Les défections étaient nombreuses dans le parti des dissidens, malgré l’abandon subit et inexpliqué des projets qui avaient rassemblé pendant quelques jours à Maaziz près de 6 000 combattans sous les ordres du général d’Espérey. Des douars entiers se soumettaient aux conditions de l’aman pour conserver leurs terres et leurs silos. Il ne restait plus de l’autre côté du Grou que les agitateurs les plus compromis. Ils espéraient toujours un hypothétique retour de fortune grâce à l’appui des Zaïan ou des Tadla qu’ils tentaient d’entraîner dans un suprême effort. Un va-et-vient de piétons, de cavaliers, de caravanes animait sans cesse les pistes qui convergeaient à Sidi-Kaddour.

Ce calme après la tempête donnait au district la réputation d’un havre sûr. Des Européens y venaient, attirés par l’espoir de soustraire leurs pacotilles aux convoitises des brigands ; des mercantis indigènes ou juifs prenaient la place de ceux que la colonne avait entraînés à sa suite. Peu à peu, un petit bourg de toile se formait au milieu des rochers, tout près du poste qu’il exploitait. Imbert rêva bientôt de le transformer, afin d’ajouter à ses pures joies de pacificateur celles du bâtisseur de cités. Il s’en ouvrit à Merton qui, peu féru des « colons de la première heure, » frissonna de terreur en songeant au désarroi que mettraient dans les affaires administratives ses nouveaux ressortissans : « Vous ne vous doutez pas des ennuis qu’ils nous réservent, s’ils prennent racine à Sidi-Kaddour ! J’ai vu de près les marchands de goutte dans nos postes du Sud algérien, et je vous assure que les Français ne sont pas les moins gênans. Ils se posent sans cesse en victimes et ne veulent reconnaître aucune autorité ! » Mais, bientôt calmé, il admit que la fondation d’un village était une tentative originale dont le succès dissiperait les dernières illusions des dissidens et de leurs alliés : « Après tout, vous avez raison. De l’autre côté du Grou ils persistent à croire que nous quitterons ce pays tôt ou tard. Quand ils sauront que les civils eux-mêmes se construisent des cases en pierre, ils comprendront enfin que nous ne voulons pas nous