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en aller. » Et sans retard il rechercha dans les textes officiels les moyens de concilier l’hygiène de la clientèle, les droits souverains du chef de poste et les intérêts des mercantis.

Or les « colons » européens, prévenus de ce qui se préparait, manifestèrent une vive appréhension. Ils redoutaient d’être exposés, après leur établissement sur un nouveau site, aux tentatives nocturnes des pillards. Imbert leur promit que leur sécurité n’en serait pas amoindrie et, par d’adroites pressions, il sut les convaincre de la nécessité des sacrifices financiers auxquels il les conviait. Les marabouts malpropres, incommodes et troués devaient en effet se changer en vastes maisons de pierre, couvertes de tôle. Sous des conditions bénignes, les citoyens du futur village auraient à bail, pour une longue période, des lots de terrain tirés au sort pour y construire leurs habitations. Les « colons, » les plus importans, des mercantis juifs et des « kaouadjis » réunis en assemblée générale, après un bref débat acclamèrent sans réserves les projets d’Imbert.

On se mit à l’œuvre aussitôt. Un sergent de marsouins, polyglotte émérite, fut nommé commissaire de police et directeur des travaux. Sur une parcelle du terrain militaire, les prisonniers que des peccadilles de droit commun retenaient dans les geôles en toile de Merton apprenaient de leurs chefs d’ateliers à faire jouer les mines et niveler le terrain rocailleux. Poussés par une émulation intéressée, des soldats passaient leurs heures de liberté à bâtir les premières maisons de Kaddourville en bordure d’une large rue qui portait le nom d’un capitaine tué non loin de là. Une vaste place, dédiée à la mémoire d’un officier tombé pendant la colonne des Zaër, s’étendait entre le village et le poste, et le sergent jardinier s’évertuait à l’embellir par des plantations de chênes verts et d’oliviers rabougris. Bientôt, un commissariat de police, des réverbères à l’acétylène, deux anciens goumiers consacrés sergens de ville par leurs brassards de cuivre rutilans, donnaient à Kaddourville le suprême vernis de la civilisation. Le soir, jusqu’à l’heure de la retraite, les indigènes des douars voisins, les militaires du poste, les femmes de Sénégalais faisaient leur tour de boulevard dans la grande rue violemment éclairée. Leurs groupes pittoresques stationnaient devant les étalages, se pressaient autour des phonographes qui nasillaient les rengaines universelles, écoutaient les facéties de conteurs arabes trônant chez les marchands de