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succédèrent aussitôt des objections inattendues : « Nous n’avons plus de fusils ! plus de cartouches ! » clamaient les caïds. Et ils rappelaient que la livraison des armes avait été la première des conditions de l’aman. Depuis, ils étaient comme de pauvres moutons exposés aux convoitises des chacals.

Le raisonnement était spécieux. Sans doute, une grande quantité de fusils démodés, de carabines hors d’usage avaient été apportés au bureau de Merton ; mais ces armes inoffensives, qui semblaient sortir d’un magasin de bric-à-brac, n’étaient pas celles que les ralliés avaient utilisées dans leurs luttes contre la colonne des Zaër. Cependant Merton ne jugea pas à propos de chicaner. L’approvisionnement du poste en fusils Gras et cartouches 74 permettait de se montrer généreux. Après un palabre animé, on convint que chaque tribu fournirait, jusqu’au retour de la tranquillité, un contingent de 30 partisans à cheval. Ces auxiliaires camperaient auprès du poste dont ils recevraient fusils, munitions et l’orge pour la nourriture des chevaux.

Le rassemblement de tous ces guerriers excita dans la garnison des commentaires peu bienveillans. A priori, officiers et soldats se défiaient des partisans, qui, dans les colonnes précédentes, ne leur avaient pas paru mériter la confiance qu’on leur témoignait. Ils leur imputaient des méprises regrettables ; ils les soupçonnaient de fanfaronnades brouillonnes et parfois même de trahison. D’impressionnans récits sur les mésaventures du commandant Massoutier, attaqué en route par ses contingens d’auxiliaires, étaient chuchotes sous les tentes, et Pointis, traduisant l’opinion générale, en évoqua l’exemple le soir à dîner : « Nous verrons bien, répliqua Imbert. Si nos volontaires ont de mauvaises intentions, ils ne sont pas assez nombreux pour les réaliser. Mais ils feront du volume sur le plateau et dans les défilés, et ils seront toujours assez bons pour apporter des nouvelles. D’ailleurs, les cavaliers du goum ne peuvent plus suffire à la tâche, et je n’ai pas le choix pour les remplacer. »

Or, la suite lui donnait raison. Abondamment pourvus de cartouches, les partisans s’agitaient dans une furie de mouvement qui les lançait en galopades folles vers les silhouettes à peine visibles des patrouilles ennemies. Et c’étaient des combats homériques, des fusillades en l’air coupées de cris éperdus où s’échangeaient des menaces farouches et d’utiles renseignemens. Dans ces luttes courtoises d’où ils revenaient toujours