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d’ennoblissement que possède l’art ; la puissance « de nous dessaisir de ce qui nous dégrade et de faire que l’âme se connaisse et par suite s’améliore ; » l’ascension de l’âme qui s’élève de la « contemplation des beautés naturelles ou artistiques à la contemplation de la suprême et éternelle Beauté, de l’harmonie vivante qui régit l’Univers et y resplendit, » c’est tout cela que célèbre Fray Luis de Léon dans son ode à Salinas. Or tout cela dérive, par les courans que nous avons indiqués, de la doctrine du philosophe de Stagyre. En outre, tout cela se retrouve dans l’idéal, — purement aristotélicien, — du moyen âge, ou plutôt le constitue. Or cet idéal, on le sait, fut aussi contraire que possible à l’idéal plus extérieur, plus sensuel et, dans une certaine mesure, plus païen, qui devait être un jour celui de la Renaissance. D’où cette conséquence logique : à l’esprit de la Renaissance l’Espagne musicale demeurera toujours non seulement étrangère, mais hostile, mais impénétrable. Ainsi que l’a dit M. Maurice Barrès, dans le Secret de Tolède, les Morales, les Guerrero, les Comès, les Victoria, « réaliseront une certaine qualité de sublime que peuvent produire toutes les nations catholiques, mais auquel l’espagnole attache son nom. »

Cette qualité de sublime, les autres nations catholiques sont peut-être capables d’y atteindre, mais l’auteur du livre que nous étudions ne semble pas admettre qu’elles en aient seulement approché. Dans le concert européen du XVIe siècle, si belle que soit la part, ou la « partie » de l’Espagne, l’apologiste du mysticisme musical espagnol la fait tout de même un peu trop belle. Il s’en faut de trop peu qu’il ne sacrifie au génie castillan les génies contemporains de la Flandre et de l’Italie. « Les Flamands, nous dit-il, n’étaient ni rêveurs, ni mystiques. » Cela est bientôt dit et mériterait d’être contredit. N’oublions pas certaine assertion de Guicciardini : « Ceux-là (les Flamands) sont les vrais maîtres en musique et ceux qui l’ont restaurée et conduite à la perfection. Chez eux, ce genre de talent est tellement inné, que tous, hommes et femmes, chantent naturellement en mesure avec une très belle grâce et mélodie. De plus, ayant ajouté l’art à la nature, ils ont inventé ces merveilleuses harmonies de voix et d’instrumens que l’on peut entendre partout. Aussi les musiciens de cette nation sont-ils recherchés dans toutes les cours de la chrétienté. » Il est vrai que M. Collet, tout le premier, rapporte cette note et la qualifie d’ « instructive ; » mais c’est trop en restreindre et la lettre et l’esprit, de n’y voir, comme il fait, qu’un brevet de technique, un certificat d’ « habileté. » Quelques lignes plus loin, s’il ne refuse pas non plus son hommage à Roland de Lassus, a-t-il tout à fait raison d’insister autant sur