Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 18.djvu/716

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peu de la conquête et de l’organisation du Maroc ; elle en aura les charges ; les avantages éventuels seront pour les générations futures ; il est donc juste que celles-ci participent à la dépense et que cette dépense soit, au moins en partie, couverte par l’emprunt. Mais le gouvernement lui impute tout entière celle de ces deux dernières années et on s’explique que des objections se soient élevées à la Commission du budget et aient prévalu : à une majorité d’une voix, la Commission a décidé que ces 400 millions seraient distraits de l’emprunt et que celui-ci serait ramené de 1 300 à 900 millions. Soit : que va faire la Commission ? La voilà obligée de trouver 700 millions d’impôts nouveaux : où les prendra-t-elle ? à quelle source de la fortune publique se décidera-t-elle à les puiser ? Ce n’est pas que les sources manquent, puisque chacun en propose une différente, mais il y en a où on a déjà puisé beaucoup et qui sont bien près d’être taries.

Une autre difficulté s’est produite à la Commission : la proposition y a été faite de ne s’occuper de l’emprunt que lorsqu’on aurait créé les ressources destinées à faire face à son annuité et à son amortissement. En vain M. le ministre des Finances a-t-il expliqué que, lorsqu’un emprunt est en cause, il y a de graves inconvéniens à le laisser en suspens sur le marché, où les affaires sont gênées ou paralysées jusqu’à ce qu’on sache s’il sera fait ou non, et dans quelles conditions il le sera. Une opération de ce genre exige une grande promptitude de résolution et d’exécution. C’est ce qu’a dit M. le ministre des Finances, et M. le président du Conseil l’a répété avec plus d’ampleur et de vigueur encore au banquet Mascuraud dont nous parlerons dans un moment. Rien n’y a fait : la Commission a décidé que l’impôt passerait avant l’emprunt. En attendant, le temps s’écoule et la situation devient de plus en plus obscure ; mais qu’importe aux radicaux socialistes ? Ils ont des préoccupations infiniment plus élevées que celles que peut causer l’état du marché et des affaires. Cette échéance qui se présente aujourd’hui et qui se traduit par l’obligation de recourir à la fois à l’emprunt et à l’impôt, il y a longtemps qu’ils l’attendent, qu’ils l’espèrent et que, dans toute la mesure de leurs forces, ils la préparent. Ils n’ont pas partagé les craintes que nous inspirait l’augmentation continuelle et finalement redoutable de nos dépenses ; tout au contraire, ils ont poussé à cette augmentation pour hâter le moment où, grâce à l’affolement général, ils pourraient exhiber les impôts de leur choix et peut-être les faire accepter, sinon en totalité, au moins en partie. L’occasion se présente enfin, ils ne la laisseront pas échapper. M. Jaurès, dans son journal, partage la nation en deux classes