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ANATOLE LEROY-BEAULIEU

J’ai vu, pour la dernière fois, Anatole Leroy-Beaulieu très peu de jours avant sa mort ; il était dans son grand cabinet de travail de l’École des Sciences politiques, à demi couché dans son fauteuil ; sa tête amaigrie, presque momifiée, reposait sur des oreillers. Il avait voulu m’entretenir des examens qui allaient commencer et pour lesquels je devais le suppléer ; sa voix mourante se ranima pour parler, avec une sollicitude détaillée, de ses élevés, et pour s’enquérir des nouvelles de l’Orient balkanique, où la guerre italo-turque lui faisait prévoir des complications prochaines. Ses élèves, les peuples de l’Europe et particulièrement de la péninsule des Balkans, c’étaient les préoccupations les plus chères à son esprit. Il aimait ces jeunes générations et ces jeunes nations qui lui paraissaient porter en elles le secret d’un avenir dont il s’était plu à sonder le mystère avec toute la force de son esprit avide de science et toute l’ardeur de son âme passionnée d’espérance.

La lourde charge de lui succéder dans cet enseignement auquel il donnait sans compter son temps et son travail, le souci de suivre et d’expliquer, dans leurs complications dramatiques, les événemens d’Orient, m’ont empêché jusqu’ici d’achever l’article que la Revue, où, de 1872 à 1911, sa signature a paru si souvent, se devait à elle-même de consacrer à cette mémoire. Au lendemain de sa mort, M. Francis Charmes lui a déjà rendu, dans sa chronique, un bref, mais définitif hommage. Aussi bien un certain recul n’est-il pas défavorable aux vrais grands morts ; il permet, lorsque l’écho frivole des conversations mondaines et des regrets conventionnels s’est évanoui, de prendre plus juste