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dans les vallées du pays d’Othe, s’élevèrent ces fins clochers de charpente et d’ardoise que nous admirons encore. Aujourd’hui, qui va les relever, les soutenir, ces églises, toutes charmantes dans la verdure des humbles cimetières qui les entourent ? La grâce de la Renaissance et peut-être aussi (car elles sont l’œuvre anonyme des maîtres-maçons locaux) l’instinctive modération du caractère champenois, ont assagi la fougue du gothique flamboyant. A l’intérieur, elles gardent leur mobilier d’autrefois : vitraux somptueux, chaises, bâtons de confrérie. Christs tragiques du quinzième. Pitiés douloureuses, saintes semblables à des fillettes sages qui retiendraient un sourire, le sourire doucement moqueur et candide que vous avez mis au coin des lèvres de Colette, leur petite sœur lorraine... Souvent, je m’attarde à rêver entre leurs murailles, dans les beaux étés où je parcours les villages, et j’aime profondément le charme simple et pur, l’harmonie que ne rompt pas même, ou si rarement, la dissonance d’une statue trop moderne. Dans cinquante ans, le tiers d’entre elles sera tombé. A Saint-Phal, à Montgueux, ce sont des voûtes qui s’effondrent ; à Nogent-sur-Aube, le clocher s’enfonce tout d’une pièce entre les piliers du transept ; à Villecerf, l’édifice menace ruine ; à Lignières, la commune demande la désaffectation. Dans beaucoup de sanctuaires les vitres sont brisées, les oiseaux font leur nid sur l’autel et l’on y respire la tristesse glacée de la mort. Les maires interdisent l’entrée des églises et j’ai vu pleurer devant les portes closes de pauvres vieilles femmes trop infirmes pour aller assister à la messe de la paroisse voisine... »

Que tout cela est finement senti et raisonné, exprimé avec une justesse, une mesure toute française ! Et je ne puis me retenir de vous lire encore ce passage :

« A Laines-aux-Bois, une église s’effondre dans un glissement du sol produit par les eaux. La Société archéologique, qui eût dû se réunir d’urgence, bâille en rond et se désintéresse de tout ce qui n’enrichira pas le bric-à-brac de son musée. Ces gens-là sont incapables de sentir combien toute cette floraison d’art tient à la terre qui l’a produite. Les paysans du conseil municipal ont un plus sûr instinct que tous ces beaux messieurs : ils veulent sauver un charmant portail renaissance, où des enfans prient parmi les pampres ; ils songent aie faire encastrer dans la façade d’une nouvelle mairie. L’idée vous paraîtra