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plus de vingt lieues. Le docteur Smollet est de ce nombre ; s’il court la poste de Paris à Lyon sur la fin du règne de Louis XV, c’est par souci de confort et non de rapidité ; il veut se lever, manger et se coucher à ses heures et à sa guise, bien qu’il grogne platoniquement sur les prix : « Le maître de poste fournissant seulement les chevaux et les guides, vous devez, dit-il, vous munir d’une bonne voiture ; si quatre personnes prennent place vous êtes obligé de prendre 6 chevaux et 2 postillons. » C’est dans cet équipage que Smollet quitte Paris, son domestique galopant derrière sa berline, ce qui ne coûte pas plus cher que de le faire asseoir sur le siège, où sa présence eût légitimé la taxe supplémentaire d’un cheval.

« Vous payez double pour le premier relais au sortir de Paris et quadruple pour le relais de Fontainebleau, quand la Cour y séjourne, ainsi que pour le relais d’arrivée à Lyon. On appelle cela la poste royale, et c’est sans aucun doute une scandaleuse exaction. Le peuple de ce pays dîne à midi, et les voyageurs trouvent toujours un ordinaire préparé à chaque auberge. Ils s’assoient à table d’hôte et dînent à tant par tête… » En général 3 fr. 50 le dîner et 4 fr. 50 le souper, compris le logement. « Si vous mangez dans votre appartement, ces chiffres doublent. Ma famille et moi nous ne pouvions nous passer de notre thé et de nos toasts le matin, et je n’ai pas un estomac à manger à midi. Pour ma part, je déteste la cuisine française et l’abominable ail avec lequel tous les ragoûts, dans cette partie du pays, sont fortement assaisonnés. Nous fîmes un plan différent : avant de quitter Paris, nous achetâmes un stock de thé, chocolat, langues préparées ou saucissons de Bologne ; à 10 heures du matin nous arrêtions pour le breakfast à quelque auberge où l’on trouvait pain, beurre et lait ; nous y commandions aussi un ou deux poulets rôtis que l’on plaçait dans le coffre de la voiture, avec pain, vin et eau. À deux ou trois heures de l’après-midi, pendant qu’on changeait les chevaux, nous étalions la nappe sur nos genoux et nous dînions sans cérémonie, en y joignant un dessert de raisin. »

Ce voyage, en comptant la location de la voiture, — 480 francs, — et toutes les dépenses de route, revint à 1 920 francs.