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et des mœurs beaucoup plus que des paysages. Les paysages sont en nombre très borné ; sauf la mer, la montagne, le désert, quelques fiords et quelques cascades exceptionnelles, on trouve en tous lieux, réunis sur quelques centaines de kilomètres carrés, tous les paysages imaginables : le ruisseau, le fleuve, le lac, la plaine, la prairie, le rocher, la forêt, la lande, avec leurs accidens de terrain. Cela se reproduit indéfiniment quand on va indéfiniment loin et cela se voit rassemblé en un morceau de territoire que l’on peut explorer en quelques jours.

L’homme est bien plus divers, mais il offrait plus de différence dans l’intérieur d’une seule province ou d’un pays de médiocre dimension, il y a cinq cents ans, qu’il n’en offrira peut- être dans cinquante ans sur toute la planète. Forcés de voyager lentement, nos pères voyaient mieux le peu qu’ils voyaient et en tiraient plus de parti que bien des contemporains qui voient beaucoup sans beaucoup apprendre ou qui même vont très loin sans voir beaucoup.

Les voyageurs, étant rares jadis, excitaient la méfiance, mais provoquaient aussi la curiosité : ils vont et viennent librement aujourd’hui ; il n’est plus de pays où on les tienne, la nuit, enfermés dans leur chambre à l’auberge, comme en Espagne sous Philippe V, et nul jeune couple n’est plus dérangé au lit, comme au XVIIIe siècle en de petites cités épiscopales d’Italie, par les sbires du Saint-Office, gardien des mœurs, qui les invitaient à justifier de leur mariage. Mais on n’accueille plus l’inconnu de passage, comme on faisait volontiers alors ; s’il n’est muni de recommandations, il ne pénétrera chez nul habitant de la ville où il séjourne et n’aura commerce qu’avec les patrons d’hôtel.

Si l’attrait du voyage s’atténue, objectivement, parce que la couleur locale s’efface et que le monde s’uniformise, le voyageur, subjectivement, en jouit moins à mesure qu’il multiplie ses pérégrinations. Il n’est plus rien de neuf pour lui, soit qu’il revoie souvent les mêmes aspects, soit que les nouveautés ne semblent point telles à ses yeux blasés. A ceux que l’on nomme les « heureux de ce monde, » les bienséances ou les affaires imposent beaucoup de déplacemens en chemins de fer, fastidieux et fatigans, dont ils n’étaient pas tenus lorsque les distances ne permettaient pas de les effectuer en poste ou en diligence. La facilité même des communications crée ainsi aux modernes des