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II. — LES VISAGES DE TOMBOUCTOU

Brusquement, le terrain se dénude. Il s’affaisse. Il découvre, sous l’incandescence du firmament, la ligne grise d’une longue ville aux façades graves ; et, plus loin, l’espace infini du désert qui vibre, qui scintille.

Ici la joie de l’Afrique s’est tue. Ce visage mural du Sahara porte le deuil d’une histoire continûment tragique. Il n’est que du silence dans la lumière souveraine. Sournoisement l’épaisseur du sol meuble étouffe les bruits. Plus on s’avance, plus s’accroît, plus vous oppresse, plus vous stupéfie, l’impression de grandeur sévère. A demi submergée par les vagues de sables, la capitale leur résiste, de tout son effort qui s’allonge, qui s’étend, à la mesure du ciel et de la terre nus.

Depuis l’an mil, où des Touareg installèrent ici un bivouac, afin de gagner à l’échange de leur sel contre les marchandises de Kabara, que de guerres ont mêlé de sang ces quartiers aveugles, clos et muets ! Seules la sonnerie des clairons, et les voix militaires de la France semblent ressusciter la vie qui allait mourir, au fond des rues tortueuses, derrière les portées ferrées, toujours entaillées par les glaives et les lances des envahisseurs. Bleue comme la mer, blanche comme le soleil, rouge comme un baiser, nos trois couleurs chantent ici les phases de leur épopée accourue sur les flots pour affronter les feux de l’Afrique, et embrasser fraternellement les races faibles.

Passé le champ de courses où nos officiers s’entraînent et encouragent l’émulation des cavaliers maures, passé la tribune des parieurs, un bastion angulaire du fort, à gauche, élève dans la clarté les ombres de sentinelles en armes. L’escorte longe la défense. Les éclaireurs débouchent sur une esplanade. Les escadrons tournent en bel ordre, pour l’admiration figée d’une marmaille attentive, d’une foule aux visages de fer, en ses plis blancs, en ses plis bleus, devant les arcades roses d’un marché populeux. Au premier rang il y a les sourires ironiques des Maures et des Touareg. Ces maîtres dépossédés font obligatoirement le salut militaire. Sous leurs chevelures abondantes, deux par deux, ils posent enlacés. Un bras se place sur l’épaule de l’ami ; l’autre se cramponne à une fine lance de cuivre et d’acier. Celui-ci, par habitude, applique la plante de son pied gauche contre