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brune que des piquets surélèvent, assure le maximum de l’aise à des Berbères et à des Sémites que le soleil rôtit, éblouit, noircit depuis tant de siècles. Aussi voit-on de nobles figures de Maures et de Touareg, majestueusement appuyés sur leurs fines lances d’acier à volutes de cuivre, et beaux comme des Antinoüs méditerranéens, se glisser sans honte sous les arceaux de bois soutenant les paillassons de leur fragile coupole.

Autour d’eux, les dromadaires baraqués, les moutons en masse, les chèvres éparses, l’essaim des captifs ou serviteurs empressés à leur besogne, les planches de sel grisâtre étalées ou en piles, signifient assez l’opulence du maître. Le respect lui vient qui lui paraît dû. Lui-même se contente, pour parure, des sachets en cuir à gris-gris pendus sur la poitrine, parmi son porte-monnaie et son sac à tabac, au bout de lacets. Les broderies linéaires en fils de couleur qui parent ces objets suffisent à la coquetterie virile, outre des bracelets de cuir rond, de marbre ou de verre enfilés au-dessus du coude, sous le biceps qu’ils pressent. Car elles sont misérables et sales, les loques dont ils se masquent pour ne pas être appelés « mangeurs de mouches, » pour éviter plutôt l’absorption des sables que le vent promène, et qui s’introduiraient dans les poumons. Le coton bleu très miroitant du long scapulaire pendu devant et derrière le cavalier déteint sur l’ambre de la peau. C’est un luxe. Les braies tournoient, larges et à plis, jusqu’aux pieds nus dont l’orteil traverse une bague d’argent. Au poignet très fin un bracelet de cuir encore attache la dague et son fourreau savamment cousu, parfois artistement composé de pièces bleues, noires et pourpres, toujours joint à un pommeau en forme de croix. Probablement ces formes furent copiées sur celles qui furent laissées en Tunisie, ou au Maroc, soit par les Byzantins lors de la conquête arabe, soit par les Croisés morts autour de saint Louis soit par les Espagnols prisonniers des Maures. Le bouclier en peau de girafe a d’ailleurs l’indéniable apparence d’un écu de chevalier latin. Juchez ces Touareg sur les grands dromadaires blonds qu’ils dirigent de l’orteil posé contre le cou aux flexions de cygne, et aussi par une cordelette fixée au naseau. Imaginez cet escadron accourant les boucliers au soleil, les glaives en l’air, les lances tendues comme au tournoi, dans un nuage qui roule avec les colères hurlantes des impulsifs, des orgueilleux et des cruels, ainsi qu’ils apparaissent encore à l’heure de la fantasia,