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et vous évoquerez la terreur qu’inspirèrent toujours leurs faces masquées, enturbannées, leurs élans fous, obliques sur le sable, sur l’étendue sans refuge.

Ils ont peu changé. Les voici dans leur quartier, non loin du puits. La brise colle les étoffes bleues et blanches à la maigreur de leurs grands corps. Devant leurs cases en coupoles, des femmes graves, les seules Africaines qui commandent, adoptent des attitudes en leurs plis longs. Bleuies par l’antimoine, les paupières et les lèvres sont immobiles dans les visages droits entre les tresses de cheveux luisans qui s’emmêlent avec le corail, les perles, l’ambre et l’or des colliers puniques. Reines du campement et de leurs époux monogames, elles ordonnent du signe aux concubines, aux servantes. Ainsi la Vieille-du-Puits devait, ici même, diriger sa famille et les gardiens du lieu choisi.

Longtemps Tombouctou n’a présenté d’autre aspect que celui de ces campemens denses et populeux, séparés par de larges espaces. Les sacrificateurs y égorgeaient les moutons, pendus aux fourches des arbustes grêles, avant de les dépouiller, de les dépecer, de placer les morceaux pantelans sur les branches sèches que soutiennent deux petits murs en banco, puis que le feu tord. Au delà se hérissaient le village soudanais, ses ruches géantes, ses clôtures enfermant les demeures de famille à cinq ou six cases chacune et qui dégorgeaient leurs marmailles devant les mères allaitant, sur des trépieds, devant les aïeules squelettiques filant le coton de leurs minuscules quenouilles égyptiennes. Entre ces deux sortes de quartiers, les tentes de commerce montées, comme elles le sont aujourd’hui, sur des perches en arceaux, s’alignaient dans l’esplanade. Et la foule des acheteurs, des vendeurs, jasait. Les visages d’ambre et de bronze entamaient la discussion des grandes affaires, sans négliger de choisir les ustensiles de la Méditerranée, ni les produits du Soudan accumulés sous les tentes, ni les mille friandises et comestibles étalés contre terre sur des pans de cotonnade, par les villageoises en ligne.

Cette foule à grands plis, à face de topazes ou de fonte circule, comme à l’origine, comme elles durent circuler, ailleurs, dans le temps où Carthage dominait l’Afrique du Nord. Sous leurs tignasses abondantes, les Sémites se promènent en tuniques bleues, deux par deux, comme si rien n’était changé depuis la