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viennent le recevoir volontiers, peut-être avec la même piété que leurs ancêtres du XIVe siècle. Si peu de choses se sont modifiées ici !

Comme autrefois, ce bœuf gris à terre, couché sur le flanc, les quatre jambes ligotées devant la porte de celui qui le reçut en cadeau, souffle, la langue hors du museau, sons les mouches qui le dévorent. On attend le sacrificateur qui l’égorgera dans le sable, suivant le rite de l’Hégire. En ce carrefour étroit, deux angles de murailles bises, face à face, montent obliquement vers le bleu très pur du ciel encadré par les rebords de terrasses voisines, par deux rues aveugles qui se croisent vides, muettes, sablonneuses, dorées fort par le soleil à l’Occident. Survient, en pagne et boubou, une vendeuse de colas à deux sous, avec sa corbeille qu’elle tient gracieusement, sur la paume de la main, à la hauteur de l’oreille, son coude plié. Un sourire lippu illumine la face de fer camuse, sous les trois houppes mêlées de corail. Entre le velours des cils, les yeux langoureux vous prient d’acheter. La nuque souple et luisante s’incline. La hanche fait saillie dans les bigarrures du pagne. Aux lobes des oreilles que l’on perça, cinq ou six fils chargés de perles multicolores pendillent. La marchande, lasse, s’appuie contre le cône du four à pain construit dans un retrait de la muraille pour l’usage commun. Continuant de rire un peu sous la boucle d’or accrochée à la cloison nasale, elle répond, timide, aux questions. Une de ses amies la rejoint, qui a, sur le crâne rasé, une tresse occipitale en forme de serpent, tel le pschent des Égyptiennes antiques. Le Maure qui s’arrête, conte que, dans sa tribu, il faut avoir tué un ennemi pour obtenir le droit de laisser ainsi croître et se développer une tignasse de guerrier noble. Ce charmant pasteur aux yeux tendres dit cela lentement comme si la parole le fatiguait, et comme si, de votre indulgence, il attendait une caresse tapotant sa joue d’ambre à frisures rares, pour le féliciter de son exploit.

Ces solides paysannes, lourdement mamelues, mal enveloppées de leurs voiles maures, et qui ont au nez des boules d’or, et qui vous regardent, entre leurs vingt tresses grasses, et qui agrippent ces enfans de bronze habillés chacun d’une ceinture de verroteries, sont-elles différentes des femmes ici même capturées par les Mossi du roi Masserégué ? Est-il en accord avec l’infériorité d’une thérapeutique et d’une assistance rudimentaires,