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On les voit qui dissertent en un spacieux édifice d’argile, aménagé à leur intention, par les soins du gouvernement. Là, soixante étudians, répartis en plusieurs salles, suivent les cours d’arabe, d’exégèse, de droit coranique que ces imans faisaient jadis en divers coins de la ville. Métis ténébreux de Songaï et de Berbère, un de ces maîtres, solennellement drapé de bleu et de blanc, enturbanné de noir, peut raconter à ses disciples comment il alla, dès notre venue, chercher, à Marrakech, une armée de Marocains pour nous expulser, démarche vaine, et comment, de retour, afin de ne pas reconnaître notre établissement de fait, il s’en fut, pèlerin, vers la Mecque. Apparemment désabusé par l’expérience de ses voyages, apparemment convaincu de notre sincère libéralisme, il reçoit de la France quinze cents francs annuels avec la seule obligation d’instruire les jeunes lettrés de Tombouctou, selon sa conscience musulmane, dans cette Sorbonne d’argile blonde.

Tolérance indéniable et franche qui sut installer, dans un monument de noble aspect, les théologiens de l’Islam, sans rien leur demander que l’application de leurs méthodes antérieures au développement spirituel de leur élite. Ce geste de la République nous a valu des sympathies sans cesse plus évidentes. Entre les deux maîtres de Tombouctou, un professeur musulman d’Alger fut intronisé, qui les avertit de nos théories et de nos façons. Il leur apprend notre vœu de concilier les mœurs religieuses de l’Islam avec nos procédés libertaires de civilisation, puis de les ramener parallèlement vers leurs fins logiques, sans méfiances réciproques. Cet élégant Algérien, de physionomie très fine et souriante sous le turban noir se campe à ravir dans le boubou d’azur soyeux. Il ne semble guère naïf. La figure aquiline, ornée d’une barbe légère comme celle des jouvenceaux peints à Florence durant le quattrocento, ne masque pas une intelligence épaisse. Ce musulman est subtil. Il a compris ce qu’il convient d’obtenir, pour le bien de l’Afrique, selon nos espoirs de fraternité durable. Et déjà l’école française, n’étant plus condamnée par les imans, accueille deux cents élèves. Soixante à peine y fréquentaient de mauvaise grâce, avant la fondation de la Medersa. La diplomatie de M. Clozel atteint vite le succès.

Voilà sous quelle forme persiste aujourd’hui l’enseignement de Sidi-Yabia et de ses émules. Quelques fils de chefs maures