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M. Faguet nous dit même qu’il n’en avait ni le don, ni le goût. Le théâtre, au moins au XVIIe siècle, exige des qualités oratoires. On fait des discours dans la comédie de Molière comme dans la tragédie de Racine. Or La Fontaine est le poète le moins oratoire qui ait paru dans un siècle et dans un pays de poètes orateurs. Il a touché parfois à l’éloquence, ou plutôt il nous en a donné l’inoubliable sensation, comme en deux ou trois reparties il nous donne l’impression de tout un dialogue. Le discours du Paysan du Danube n’est que la marche d’un discours tracée par des éclairs. Songez à ce qu’il fût devenu dans la bouche d’un Corneille ou dans le porte-voix d’un Hugo ! Ses comédies, l’Eunuque, Ragotin, sa tragédie d’Achille heureusement interrompue, nous le montrent qui développe. Plus l’espace lui manque, plus il est à l’aise. Au théâtre, il en a trop. Ses discours vont au petit pas ; ses récits s’étalent en morceaux narratifs. Voltaire estimait que son acte du Florentin était un petit chef-d’œuvre. A moins qu’on n’y sente la lourde patte de Champmeslé, on y reconnaîtra combien le La Fontaine conteur diffère du La Fontaine dramaturge. Marinette nous raconte que le jaloux Harpajème tient sa pupille solidement emprisonnée, et que rien ne le tranquillise. La nuit, bien que leurs deux lits ne soient séparés que par une cloison,


Le bruit d’une araignée, alors qu’elle tricote,
Une mouche qui vole, une souris qui trotte.
Sont éléphans pour lui qui l’alarment soudain.


Six ans auparavant, dans Le Savetier et le Financier, il avait exprimé le même perpétuel tremblement d’un homme qui craint pour son trésor :


Tout le jour, il avait l’œil au guet ; et la nuit,
Si quelque chat faisait du bruit,
Le chat prenait l’argent...


Le poète avec deux mots en dit plus que la pauvre Marinette.

Il est possible qu’au XIXe siècle La Fontaine eût justifié, dans la Comédie Lyrique, l’admiration éperdue de Banville pour sa bluette de Clymène. Toujours est-il que, par la faute de son temps ou par la sienne, il n’a pas trouvé cette nouvelle forme du théâtre de fantaisie ; et, n’en déplaise à Banville, sa Clymène n’est qu’un dialogue de poésie galante fait pour être dit non