Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 18.djvu/893

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« devant un parterre de princes et de poètes, dans un décor de verdure fleurie, avec une rampe de lucioles et d’étoiles, » mais dans ces salons que nous décrit le Songe de Vaux, et dont les riches balustres, les voûtes à l’italienne, les peintures et les tapisseries se reflètent aux tendres couleurs de son Adonis.

La société mondaine et encore à demi précieuse de la moitié du XVIIIe siècle ne nous a point légué d’œuvres plus gracieuses que l’Adonis, le Songe de Vaux, Psyché. La politesse française s’y marie à la mollesse italienne. Cet Adonis qui repasse dans sa triste mémoire


Ce que naguère il eut de plaisir et de gloire,


ressemble à l’Adone de Marini et encore plus aux héros enchantés du Tasse. Les dieux et les déesses y forment des tableaux d’une sensualité aussi charmante que celle de l’Albane. La Fontaine y a consumé, comme il le dit, « tout le fond d’embellissemens qu’il avait puisé chez les Anciens et chez quelques modernes. » Et le souci des bienséances le guide dans toutes les modifications qu’il fait subir à ses originaux, — le guide et souvent l’affaiblit.

Lisez plutôt ce passage de la préface de Psyché :


Apulée fait servir Psyché par des voix dans un lieu où rien ne doit manquer à ses plaisirs, c’est-à-dire qu’il lui fait goûter ces plaisirs sans que personne paraisse. Premièrement, cette solitude est ennuyeuse ; outre cela, elle est effroyable. Où est l’aventurier et le brave qui toucheraient à des viandes lesquelles viendraient d’elles-mêmes se présenter ? Si un luth jouait tout seul, il me ferait fuir, moi qui aime extrêmement la musique. Je fais donc servir Psyché par des nymphes qui ont soin de l’habiller, qui l’entretiennent de choses agréables, qui lui donnent des comédies et des divertissemens de toutes sortes.


Est-ce assez curieux ? La Fontaine supprime une des plus jolies scènes et des plus féeriques de ce conte de fées, parce que la solitude est ennuyeuse et qu’on ne saurait jouir d’aucun plaisir sans compagnon ou sans témoin. Puis où a-t-on vu des viandes qui se présentaient d’elles-mêmes, des luths qui jouaient tout seuls ? Ce n’est pas raisonnable. Ce n’est pas ainsi que les choses se passent dans le monde. Mais nous sommes en pleine fantaisie, et je croyais que si Peau d’Ane vous était contée... J’aime mieux la Psyché d’Apulée, malgré son style corrompu aux reflets métalliques, si peu naturel chez une vieille radoteuse