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Anatole Leroy-Beaulieu analyse la situation de l’Europe au moment où un jeune empereur vient de monter sur le trône des Hohenzollern et où s’ébauche, entre Paris et Pétersbourg, une alliance destinée à faire contrepoids à la Triplice et à rétablir l’équilibre de l’Europe. Lorsqu’il s’en est allé, pour la première fois, en Russie, François Buloz lui a dit : « Allez voir si la Russie n’est pas une planche pourrie. » Il a vu ; il a constaté que, si l’écorce est, par endroits, attaquée, « le cœur du bois est sain. » Dans un chapitre très remarquable, il expose quels seraient, dans une alliance, les avantages des deux pays, l’apport de chacun d’eux, les risques inégaux qui en résulteraient pour l’un et pour l’autre. La conclusion est très favorable à la conclusion d’une alliance, alliance de paix, de sécurité, de garantie sur laquelle la France ne peut pas compter pour une politique de « revanche, » et à laquelle elle ne doit sacrifier ni ses grands intérêts en Orient[1], ni ses bonnes relations avec l’Autriche. Sur la nécessité, pour l’équilibre de l’Europe, de l’existence et de l’intégrité de l’empire des Habsbourg, sur l’avantage, pour nous, d’un rapprochement entre Vienne et Pétersbourg, Anatole Leroy-Beaulieu apporte des argumens que le temps n’a pas affaiblis. Au contraire, son étude sur la rivalité anglo-russe n’a plus qu’un intérêt historique ; il y expose très clairement la politique russe en Asie, ses fins, ses moyens. Il est piquant de remarquer que, cherchant quels alliés l’Angleterre pourrait trouver contre la Russie, en cas de conflit en Asie, Anatole Leroy-Beaulieu n’oublie que le Japon ; il a parfaitement vu et expliqué que le point vulnérable de l’empire russe était sur le Pacifique ; mais, d’où viendrait le coup, il ne l’a pas deviné : l’avenir réserve de ces surprises aux écrivains politiques[2] !

Après la Russie, l’Orient balkanique, l’Empire ottoman, ont été l’objet de ses études. Il ne nous a laissé aucun ouvrage important ni sur les Slaves des Balkans, ni sur les populations de la Turquie ; aussi bien n’en a-t-il pas fait une étude méthodique

  1. Sur les inconvéniens de « l’engouement » franco-russe, l’auteur est revenu dans ses Études russes et contemporaines (1897, Calmann-Lévy) et particulièrement sur le danger de sacrifier à la Russie nos intérêts en Orient. Ce volume contient en outre divers articles ou préfaces : Alexandre II. — Alerandre III. — Le Pape Léon XIII.— Gladstone. — La Visite de Nicolas II. — La France, l’Italie et la Triple alliance, avec un échange de lettres entre l’auteur et Ruggiero Bonghi, etc.
  2. Ce volume renferme en outre une intéressante étude sur Katkof.