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et complète. Ce qu’il va chercher en Orient, c’est l’application d’un principe de justice internationale : la libération des peuples. En Italie et en Allemagne, le principe des nationalités, venu de France, a fait son œuvre au détriment de la France ; dans le monde slave, dans la péninsule des Balkans, il servira la politique française en créant des contrepoids à la puissance germanique : c’est l’espérance d’Anatole Leroy-Beaulieu. Il trouve l’intérêt de sa patrie d’accord avec un principe supérieur de justice ; double raison pour lui de soutenir la cause des peuples d’Orient. Il fit campagne, en 1896, pour une intervention française en faveur des Arméniens. Dans son éloquente conférence : les Arméniens et la question d’Arménie[1], il demande que l’Europe, et, à sa tête, la France, obligent la Turquie à donner à toutes les nationalités des garanties de sécurité et des réformes, conformément au texte du traité de Berlin. L’intérêt de l’humanité et celui de la France, dans cette question arménienne, lui semblaient coïncider : il y voyait un cas particulier d’une loi générale qui fait qu’en Orient, la cause des peuples, sans en excepter le peuple turc, ne fait qu’un avec celle de l’influence française. Il connaissait, pour les avoir visités chez eux, tous les peuples de l’empire ottoman et il avait constaté quel est encore, parmi eux, le prestige de la France. Ces magnifiques vestiges de la grandeur de l’ancienne France, qui assurent à la France d’aujourd’hui, à sa langue, à ses intérêts politiques et économiques, une si précieuse avance sur ses concurrens, Anatole Leroy-Beaulieu ne comprenait pas qu’on en pût méconnaître l’importance, en compromettre le maintien. Son patriotisme et son libéralisme, si désintéressés et si purs, n’arrivaient pas à concevoir qu’un gouvernement français d’esprit sain pût sacrifier à des passions sectaires, à la chimère du laïcisme, les intérêts les plus évidens de la France. Dans un vigoureux article[2], il a flétri ici même les lois Waldeck-Rousseau appliquées par le cabinet Combes. L’état d’esprit de certains « radicaux » était, pour lui, une énigme indéchiffrable. « Nous croyons volontiers au patriotisme de tous, disait-il ; comment prétendre rester patriotes, si, dans le vote ou dans l’application des lois, on ne veut tenir aucun compte de la répercussion de ces lois sur la

  1. Imprimerie Clamaron-Graff.
  2. Revue du 1er mars 1903. Les Congrégations religieuses, le Protectorat catholique et l’influence française au dehors.