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Un clair-obscur sinistre et une Cour de Miracles dans la foret de Bondy ! Les deux chèvres qui se rencontrent, au-dessus d’un précipice, sur un pont où deux belettes auraient à peine passé, d’où vient qu’elles nous semblent enveloppées d’un air radieux ? Le poète les compare à Louis le Grand et à Philippe Quatre s’avançant dans l’Ile de la Conférence et voit en elles les descendantes de la chèvre de Galatée et de la chèvre Amalthée qui nourrit Jupiter. La gloire de ces grands noms jette une lumière qui, des personnages, se répand sur le paysage ; et la fable étincelle comme un lever de soleil dans la montagne.

Il n’ignore pas davantage l’effet des contrastes. Avec plus de souplesse peut-être que Hugo et moins d’insistance, il élargit tout à coup ses vers et leur donne l’étalement d’une nappe de clarté, où leur cours rapide et cahoté se repose un instant, avant de repartir :


Au bout de quelque temps il fit quelques profits,
Racheta des bêtes à laine,
Et comme un jour les vents retenant leur haleine
Laissaient paisiblement aborder les vaisseaux...


Ou encore, il nous laissera sur une impression de grandeur qui nous transporte par enchantement à mille lieues de son pauvre sujet. C’est comme s’il nous avait fait gravir une butte et que soudain nous eussions devant les yeux un panorama splendide. Le Rieur, à qui son hôte le Financier n’a servi que de petits poissons, en voudrait bien un gros, car, explique-t-il, les petits sont trop petits pour lui donner des nouvelles d’un sien ami qui fit peut-être naufrage. On rit, et on lui sert


D’un monstre assez vieux pour lui dire
Tous les noms des chercheurs de mondes inconnus
Qui n’en étaient pas revenus,
Et que depuis cent ans sous l’abime avaient vus
Les anciens du vaste empire.


On était loin de penser que cette médiocre facétie plongerait ainsi, d’un coup brusque, dans les transparences sous-marines où les monstres qui rôdent voient les naufragés qui sombrent.

Mais, quand on aura multiplié les remarques analogues, c’est toujours au mouvement des vers qu’il faudra revenir pour expliquer la vie colorée des Fables. Ce mouvement se communique à notre imagination, la met en branle ; et elle ne « arrête