Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 18.djvu/916

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’hésite pas à recommander. Un beau jour, il a voulu se guérir et il a congédié les médecins : maintenant il se porte comme un charme.

Citons encore une baronne cosmopolite et qui, pour cette cause, est venue se fixer à Paris, car « Paris n’est plus en France, il est en Europe. » Elle est veuve et fiancée à un comte sicilien avec qui elle se propose de rompre, au risque de le chagriner : « Quand on est à Paris, qu’est-ce que peut vous faire le chagrin d’un homme qui est à Palerme ? » Comment la baronne se trouve propriétaire d’un Institut de beauté, et pourquoi Mme Lagraine le lui achète, ne mêle demandez pas, ni à M. Capus : nous n’en savons rien. Et entrons dans cet établissement qui a bien droit an titre d’Institut, puisqu’il existe par ailleurs des Académies de coiffure.

De tout temps on a eu recours à l’artifice pour réparer des ans l’irréparable outrage. Mais il parait que jamais cette faiblesse n’avait été poussée aussi loin qu’aujourd’hui. On a honte de la vieillesse qui, dans des temps très anciens, fut honorée. On ne veut plus avoir son âge ; les rides ne se portent plus ; on a des cheveux de toutes les couleurs, sauf des cheveux blancs. C’est pourquoi il s’est ouvert, un peu partout, des officines où l’on travaille à corriger ces défaillances de la nature : on y fait des affaires superbes, comme toutes les fois qu’on spécule sur un de nos travers. C’est là que nous retrouvons Mme Lagraine. Elle ne sait pas le premier mot du métier, ce qui l’expose à commettre de lourdes erreurs ; mais elle a de l’esprit, qui supplée à tout. Une cliente dont elle vient de « faire » le visage, se regarde dans la glace et s’y voit, ridicule à faire peur, avec un pied de rouge sur les joues. Et déjà elle pousse les hauts cris. Mais Mme Lagraine, sans se déconcerter : « C’est la figure que nous lançons cet hiver. — En vérité ? Je commence déjà à m’y habituer. « Le défilé des clientes diverses, — il y a même des cliens,— qui viennent demander à l’Institut de beauté les ressources de son art mensonger, est un amusant chapitre de satire mondaine et demi-mondaine. Mais j’ai goûté tout particulièrement le dialogue de Mme Lagraine avec le chimiste qui préside aux travaux de son laboratoire et confectionne les pâtes, poudres, et pommades variées. « Quel dommage, soupire ce savant, que ce ne soit pas la mode de faire pousser les rides au lieu de les faire disparaître, et de développer la laideur au lieu de la corriger ! » Et cette réflexion procède d’une conception très juste de la science, qui doit avoir son objet en elle-même et non dépendre d’une vaine esthétique.

Est-il besoin de conter par le menu l’heur et les malheurs du ménage Lagraine ? Cet imbécile de Lagraine devient l’amant de la