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baronne. Affolée, la petite madame Lagraine renonce à diriger l’Institut de beauté et se lance dans le tourbillon : elle apprend le tango et suit le cours de philosophie à la mode. Et elle écrit une pièce de théâtre. Après quoi tout s’arrange. Les directeurs sont unanimes à refuser la pièce de Mme Lagraine, et les éditeurs à ne pas éditer les vers de M. Lagraine. Et le couple Lagraine rentre dans les papiers peints d’où il n’aurait jamais dû sortir.

Le mérite de cette pièce n’est pas dans ce qui s’y passe : il est dans ce qui s’y dit, et plus encore dans la manière de le dire. Le dialogue de M. Capus fourmille de jolis mots qui ne sont pas. à proprement parler, des mots d’auteur. Ce sont de fines reparties dont l’agrément se double de leur à-propos. Tout y est en nuances, qu’on gâterait en y appuyant, en indications qui perdraient à être poussées davantage. C’est le tour aisé d’une conversation qui court sur toutes choses pour n’en prendre que la fleur.

L’Institut de beauté est joué à ravir, par la troupe des Variétés qui, cette fois, ne mérite que des complimens. Elle avait, il y a deux ans, joué à contresens les Favorites de M. Capus et trahi, par toutes sortes de pitreries, un texte de fine comédie. Ce malentendu entre les intentions de l’auteur et le jeu de ses interprètes ne s’est pas reproduit, et les plus « excentriques » ont compris la nécessité d’assagir leur verve et de côtoyer la bouffonnerie sans y tomber. M. Albert Brasseur a été le digne partenaire de M. Guy, l’un des meilleurs comédiens d’aujourd’hui et qui fait songer à l’inimitable Thiron. Mlle Marthe Régnier a été parfaite d’aisance et de bonne grâce, Mlle Lender très élégante et d’une savoureuse belle humeur. Grand succès personnel pour Mlle Mistinguett. Ensemble excellent pour la tenue, la justesse et l’harmonie de l’interprétation.


Pouvait-on, en prenant Rachel comme héroïne faire une bonne pièce de théâtre ? Je ne le crois pas et je crois au contraire que c’était éminemment le sujet à éviter, la pièce à ne pas faire. D’abord, une telle pièce doit nécessairement aboutir à diminuer l’idée que nous nous faisons de l’illustre tragédienne, et cela n’est pas du tout indifférent. Nous avons le culte de Rachel, et ce culte n’est pas une vaine superstition : il tient à des causes profondes Entre toutes les reines de la rampe, nous la mêlions à part et nous lui réservons la place d’honneur. Cette préférence s’explique aisément. Eut-elle de plus beaux dons que Champmeslé ou Clairon, que Mars ou Dorval ? Il est bien difficile d’en décider, puisque nous sommes obligés de nous en rapporter au