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homme, enfin rentré à Mannheim, écrit de nouveau à son vénéré père, non seulement c’est désormais presque toute sa lettre qu’il remplit de l’éloge enthousiaste de la vertueuse et admirable Aloysia : Léopold Mozart a, en outre, l’étonnement d’apprendre que son Wolfgang a renoncé au voyage de Paris, et ne pense plus qu’à partir pour l’Italie en compagnie des Weber, — avec l’espoir de trouver là, quelque part, un double engagement des mieux rétribués, pour soi-même en qualité de compositeur de théâtre, et pour la jeune fille comme prima donna ! Le pieux garçon ne s’est-il pas avisé de découvrir, après trois mois de l’intimité la plus familière, que le flûtiste avec lequel il comptait faire route a malheureusement des opinions religieuses trop libres pour son gré, et trop peu de scrupules en matière morale ?

L’effet produit sur le père de Mozart par cette annonce imprévue nous était, jusqu’ici, connu seulement par de courts extraits de sa réponse, — enfouie depuis un demi-siècle, avec des milliers d’autres documens d’un prix inestimable, au fond des tiroirs du Mozarteum. Mais voici que déjà cette réponse de Léopold Mozart vient de nous être révélée par un musicographe allemand, M. Schmidt, en attendant que bientôt l’un des confrères de celui-ci, M. Schiedermaier, nous donne pour la première fois, dans son texte original, la Correspondance complète de tous les membres de la famille Mozart[1] ! Et vraiment la susdite réponse nous renseigne d’une manière si saisissante sur les deux natures de Léopold lui-même et de son jeune fils que je ne résiste pas au désir de la traduire presque dans son entier :


De Salzbourg, ce 12 février 1778.

Mon cher fils !

Ta lettre du 4 dernier, je l’ai lue avec un mélange de stupeur et d’effroi. Toute la nuit, cette lettre m’a empêché de dormir, et le lendemain encore je me suis senti si épuisé qu’il ne m’a pas été possible de te répondre. Je me portais assez bien, Dieu merci, ces temps derniers ; mais ta lettre, mon cher fils, — dans laquelle je te reconnais notamment à ce défaut que tu as de te laisser toujours séduire à la moindre flatterie, et puis d’être toujours

  1. Le fait est qu’un grand événement vient de s’accomplir dans l’histoire de la musique. Les archives du Mozarteum, scandaleusement inaccessibles jusque-là malgré le caractère « public « de l’institution, se sont enfin ouvertes ; et un professeur de l’université de Bonn, M. Louis Schiedermaier, a été autorisé à faire paraître, en quatre gros volumes, le texte authentique et complet de la Correspondance des Mozart. Déjà les deux premiers volumes sont en vente (Munich, librairie G. Müller) : ils contiennent toutes les lettres de Wolfgang lui-même. Et bientôt nous pourrons lire, dans les deux autres volumes, les réponses du père, ainsi que tout le reste des documens écrits qui dormaient jusqu’ici au fond des armoires du Mozarteum.