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très vivans dans une démocratie. Il a évoqué devant la Chambre un village de sa façon où tous les autres citoyens, laborieux et pauvres, paieraient l’impôt, à côté et, naturellement, à la place d’un rentier oisif et riche qui n’aurait rien à payer. M. Caillaux sait pourtant fort bien que nos titres de rente sont dans toutes les mains et que le scandale causé par son rentier de fantaisie est, lui aussi, tout entier fantaisiste. S’il en était autrement, il ne faudrait pas le mettre dans l’avenir, mais dans le présent, puisque la rente ne paie pas aujourd’hui l’impôt qui est payé par toutes les autres valeurs mobilières : cependant le scandale que redoute M. Caillaux n’a encore offusqué personne.

Mais à quoi bon analyser ce discours, où les argumens de l’ordre financier sont si faibles et où les argumens de l’ordre poUtique se sont trouvés si forts ? Le ministère Barthou n’y a pas survécu. Il avait traversé victorieusement des défilés plus menaçans, plus difficiles en apparence ; il est venu butter contre la question de l’immunité de la rente, et il a été renversé. L’histoire dira de lui qu’il a assuré la défense nationale et qu’il est mort à son poste en défendant le crédit de l’État. Quant aux vainqueurs, on aurait tort de croire que l’immunité ou la non-immunité de la rente leur importe en quoi que ce soit : si on veut savoir le cas qu’ils en font, il suffit de remarquer que des partisans de l’immunité font partie de leur ministère et qu’ils ont offert avec insistance des portefeuilles à MM. Ribot et Dupuy qui, sur ce point, ne transigent pas. D’autres questions excitent davantage les passions des radicaux, ou celles de leurs amis. Après la proclamation du scrutin, un cri s’est élevé sur les bancs de l’extrême gauche : « À bas le service de trois ans ! » C’est M. Vaillant qui l’a poussé. « Vive la France ! » a répliqué M. Barthou, et il est sorti de la salle des séances, accompagné de ses collègues du ministère, pour aller remettre sa démission et les leurs entre les mains de M. le Président de la République. Mais comment les remplacer ? Tout en tenant compte du vote final, M. Poincaré ne pouvait pas oublier tous ceux qui l’ont précédé et ont montré la majorité de la Chambre fidèle à la politique de réorganisation et d’apaisement qu’a représentée le ministère Barthou. Il n’y avait aucune raison de changer cette politique. La loi de trois ans devait être maintenue. Il fallait voter l’emprunt qui permettait de la réaliser, ou plutôt, puisque l’emprunt était déjà voté, il fallait le faire tout de suite. Enfin la Chambre avait manifesté à maintes reprises et avec une énergie croissante son ferme attachement à la réforme électorale ; il fallait s’inspirer de sa volonté et faire aboutir la