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insuffisant, très sûr de lui comme toujours, soutenu par un parti qui sentait l’occasion favorable, a préparé le combat du lendemain. Ce combat, nous l’avons dit, a été livré autour de l’immunité de la rente, vieille question que tant de discussions parlementaires ont peu à peu usée, et sur laquelle les esprits étaient devenus incertains. Le moment était bien mal choisi pour l’agiter à nouveau ! Discuter la question de savoir si la rente sera, ou non, soumise à l’impôt au moment même où on s’apprête à en émettre pour 1 300 millions, est la plus sûre manière de faire échouer l’emprunt, ou du moins d’en rendre le succès plus difficile et plus coûteux. Mais l’emprunt et l’immunité de la rente n’étaient ici qu’un prétexte, l’essentiel était de renverser le gouvernement ; on verrait après. Tout entier au moment présent, M. Caillaux a donc prononcé un discours habile, certes, mais superficiel, juste au niveau de l’intelligence de la Chambre à laquelle il s’adressait, et fait pour flatter une de ses lubies jacobines, à savoir que l’État est toujours le maître, qu’il n’a pas le droit d’enchaîner l’avenir, que, s’il a l’imprudence de le faire, l’engagement reste toujours révocable, attendu qu’il est souverain et qu’il ne peut pas lui-même porter atteinte à sa souveraineté. Ce sont là des mots qui résonnent toujours agréablement à l’oreille d’une Chambre. Lui dire qu’elle peut tout, sauf s’imposer des limites et en imposer à celles qui lui succéderont, est la suprême flatterie. La Chambre a donc admis qu’elle n’avait pas le droit de décréter l’immunité de la rente pour l’avenir, se réservant celui de déclarer, quand cela lui conviendrait, qu’on n’a pas eu celui de le faire dans le passé. La souveraineté de l’État, l’arche sainte à laquelle nul n’a le droit de toucher, l’interdit. M. Caillaux ne s’en est pas tenu à cet argument ; il a affirmé, ce qui ne nous paraît d’ailleurs nullement démontré, qu’on ne peut pas faire l’impôt général sur le revenu sans frapper la rente au même titre que les autres valeurs mobilières : or l’impôt sur le revenu est une autre arche sainte, qui est devenue d’autant plus sacrée que nous sommes à la veille des élections. Le pays y tient, ne sachant d’ailleurs pas ce que c’est : quand l’expérience le lui aura appris, la déception sera grande, et la République traversera la crise la plus périlleuse qu’elle ait encore connue. Mais, en attendant, l’impôt sur le revenu parle à l’imagination électorale et l’a déjà plusieurs fois dévoyée. On sent donc le parti qu’il y a à tirer de cette affirmation de M. Caillaux que les partisans de l’immunité de la rente sont les adversaires inavoués, perfides, mais certains de l’impôt sur le revenu. Enfin, M. Caillaux n’a pas hésité à faire appel aux instincts de jalousie qui sont toujours