Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 19.djvu/155

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quand un parti au pouvoir ne fait pas lui-même la révolution qu’il voit se dessiner dans les idées et dans les mœurs, cette révolution, fatalement, se fera un jour contre lui.

Et enfin, quelle a été l’attitude de cette génération d’écrivains en face du fait le plus important peut-être de l’histoire non pas seulement française ou européenne, mais « mondiale, » de ce dernier demi-siècle, je veux dire l’avènement et le développement du socialisme ? D’une manière générale, elle est fort loin d’avoir été hostile. Ne parlons pas de M. France qui, lui, depuis une quinzaine d’années, affiche le socialisme le plus pur, jusque dans sa Jeanne d’Arc. Mais il n’est pas jusqu’à M. Lemaitre, ou même M. Bourget, si peu sympathiques qu’ils puissent être au collectivisme, chez lesquels on ne trouverait, je ne veux pas dire du socialisme, mais des préoccupations sociales parfois assez intenses. Pour M. Faguet, on connaît les fortes études, si libres et si lucides, où il a essayé d’« utiliser » le socialisme, et de l’adapter aux exigences de son « libéralisme. » On sait aussi que la haute et généreuse intelligence de Vogué était, dans cet ordre d’idées, prête à accueillir toutes les nouveautés, et même toutes les hardiesses conciliables avec l’intérêt supérieur et permanent de la patrie. Et quant à Brunetière, il eût repoussé assurément l’épithète de socialiste : mais il ne repoussait pas celle de « catholique social, » et il nous a plus d’une fois déclaré que ce sont précisément des raisons « sociales » qui l’avaient acheminé au catholicisme. Non, décidément, les socialistes contemporains ne pourront pas dire que les hommes de lettres dont l’œuvre s’achève aient fait preuve, à l’égard de leurs conceptions, d’un pharisaïsme bien étroitement conservateur.


III

Mais les hommes de lettres sont des hommes de lettres : la politique et la sociologie ne peuvent les préoccuper qu’accidentellement. C’est à leur œuvre littéraire qu’il faut surtout les juger.

A ce point de vue, et quoique la perspective nous fasse un peu défaut, pour établir des comparaisons et formuler des jugemens en toute assurance, il semble que la génération de 1870 puisse attendre sans trop d’inquiétude le verdict définitif de la postérité. Elle a beaucoup travaillé, cela est hors de doute, et dans ce XIXe siècle français, qui aura compté de puissans, de