Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 19.djvu/154

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parce qu’elle n’existait pas, — ils n’avaient contre elle aucun préjugé d’aucune sorte ; ils ne demandaient pas mieux que de « l’essayer ; » et cela d’autant plus volontiers que les autres régimes antérieurs leurs paraissaient périmés, condamnés, en France du moins, par l’histoire. Ils s’y rallièrent donc très sincèrement. Tout au plus espéraient-ils, dans la générosité de leur libéralisme, qu’on pouvait lui faire oublier quelques-unes de ses origines, qu’on pouvait en extirper le vieux germe jacobin, dont ils réprouvaient la néfaste virulence. Un seul d’entre eux, M. France, sur ce dernier point, a fait exception : il a été républicain jusqu’au jacobinisme inclusivement. Il n’a pas admis qu’une République non jacobine pût exister, et il faut bien avouer que, trop souvent, les faits ne lui ont pas donné tort. Mais les autres ont persisté dans l’illusion ou la croyance libérale ; ils ont cru jusqu’au bout que, la bonne volonté et le temps aidant, on pourrait modérer, assagir l’institution républicaine ; ils ont proposé, à cet effet, d’utiles et d’ingénieuses réformes ; ils ont fait appel aux « modérés très énergiques, » selon le mot de M. Faguet ; ils ont réclamé un pouvoir central plus fort, un Président de la République plus prompt à user de tous les droits que lui donne la Constitution, et, patiemment, suivant l’admirable parole de Vogué, ils ont attendu « l’inconnu, l’âme qui se réserve quelque part dans l’ombre et le silence, pour rassembler et guider l’âme éparse de la France. » Deux d’entre eux sont morts sans avoir vu surgir le mystérieux inconnu.

Et tandis qu’ils continuaient a croire « qu’on peut améliorer la peste, » comme l’a dit avec une spirituelle injustice M. Jules Lemaître, d’autres, impatiens d’attendre, las d’être le jouet d’une éternelle illusion, trop sévères d’ailleurs pour un régime qui, avec tous ses défauts, a laissé pourtant quelques œuvres utiles et durables et nous a permis de vivre depuis quarante ans, ont réagi avec violence contre leurs idées ou leurs aspirations d’autrefois, et se sont faits les théoriciens ardens elles apologistes convaincus du « nationalisme intégral, » autrement dit, du « royalisme par positivisme. » J’ai dit assez librement ce que je pensais des nouvelles conceptions politiques de M. Bourget et de M. Lemaître, pour avoir le droit de croire que le malaise même dont elles témoignent est un « signe des temps, » et que des hommes politiques avisés et clairvoyans, de véritables hommes d’Etat, devraient bien en tenir compte. !