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Atropos, qui ne peut mourir, coupe les destinées humaines, chante la mort, la compare au sommeil :


Elle porte, elle aussi, le bouquet de pavots
Qui couche, en les frôlant, les corps les plus robustes…


Et l’impossibilité de mourir, où languissent les déesses, Atropos, avec envie et colère, la marque ainsi :


Nous déchirons nos doigts dans un débile effort
Aux clous de diamant des portes de la mort
Qui tournent sur leurs gonds aux caprices des hommes.


Les plus admirables images, et qui ne sont point posées auprès de l’idée, mais qui sont l’épanouissement de l’idée, son essence fleurie, images sombres ou claires, funèbres ou teintes des couleurs fugitives de la vie, se déroulent avec l’abondance variée de la vivante laine que Clotho répand. L’idée se développe ainsi d’un mouvement large et fort, que ne ralentissent pas les reprises d’élan, que ne fatigue pas la longueur de l’étape el qui va jusqu’à son terme sans défaillance. Le souffle lyrique soutient et emporte la splendide envolée des mots.

Noble poésie, celle qui n’est pas l’ornement de la pensée, mais la pensée elle-même ; et celle à qui la pensée n’a pas eu de sacrifice à consentir ; et celle qui, n’altérant pas la pensée, la consacre ! La méditation que le poème des Parques anime ne serait pas plus rigoureuse et dialectique en prose simple et sous la forme de théorèmes consécutifs. Elle est, dans le poème, intacte ; le sentiment l’échauffé et ne la modifie pas ; le rythme lui donne son allure et ne l’entrave pas ; les images l’illuminent et ne la voilent pas.

Au poème des Parques, M. Ernest Dupuy a joint, dans une édition récente, quelques autres poèmes, Pœstum, la Fuite de Jason et de Médée, Dans Ithaque et un Roman de Chimène, joli et beau, ingénieux, qui montre les richesses brillantes de son talent.

Ce grand poète, dans la critique, sait changer de manière. Il demeure le même, pourtant. Si le lyrisme de ses poèmes était vague, abandonné au caprice et confié au hasard des aventures verbales, on aurait peine à concevoir que fussent l’œuvre d’un seul écrivain ces poèmes et la monographie patiente de Vigny. Mais il y a ici et là une pareille qualité, j’allais dire, une égale vertu de la réflexion scrupuleuse, un pareil don de l’analyse délicate et de la synthèse prompte, l’amour des idées et, à leur égard, cette vigilance, l’amour de la vérité.

M. Ernest Dupuy raconte la vie du poète d’Éloa. Il en a recherché