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nous venons d’écarter, on veut le salut des églises : ayons l’air de nous en charger. » Non, le sous-secrétaire d’Etat Bérard ne pense pas ainsi, et ses bureaux pas davantage. Je connais leur zèle. Nul de vous ne cherche un artifice, un escamotage ; vous voulez véritablement sauver ce trésor d’art et de spiritualité, maintenir la physionomie architecturale, la figure physique et morale de la terre française. Vous le voulez ? Alors, prêtez-moi dix minutes d’attention et vous serez obligé de convenir que ce projet, que l’on veut vous faire endosser, ne remédie en rien à la situation tragique de nos églises rurales.

Lisons, relisons ensemble le texte de l’amendement présenté par MM. Landry-Honnorat-Bouffandeau et une cinquantaine de radicaux et radicaux-socialistes… Mais, d’abord, j’y vois quelque chose à louer et je ne veux pas m’en faire faute. Ces messieurs, qui, pour la plupart, ont écarté, l’autre jour, mon projet de résolution, qui ont refusé de déclarer que « l’ensemble de nos monumens d’architecture religieuse constitue un trésor national et doit être sauvé, » conviennent maintenant qu’il y a quelque chose à faire, quelque chose de très sérieux et tout de suite. Cela est très bien. Le 25 novembre, ils votaient le statu quo, ils abandonnaient les églises ; dès le 2 décembre, ils se précipitent pour les protéger. Je les applaudis, je les remercie, c’est une réconciliation générale.

Quelque chose m’inquiète pourtant, cette toute dernière ligne de l’amendement : « Ces dispositions entreront en vigueur à dater du 1er janvier 1914. » Eh quoi ! voilà une réforme déclarée capitale et urgente qui est ajournée à un an ! Comment résoudra-t-on d’ici à 1914 ces problèmes nombreux et très graves ? Comment protégera-t-on des milliers d’églises qui se meurent, et d’autres qui, cet hiver, vont entrer en maladie ? On néglige de l’indiquer. En réalité, ces sauveurs des églises rurales commencent par leur infliger un nouveau bail de détresse.

Mais passons avec eux en 1914 et voyons comment ils s’y prendront alors ; voyons ce qu’ils ont inventé pour sauver dans un an ce qui subsistera de notre architecture religieuse rurale.

Ils ont inventé deux caisses, l’une pour les monumens classés, l’autre pour les monumens non classés. Voilà qui va bien. Mais ils s’abstiennent de rien mettre ni dans l’une ni dans l’autre. Voilà qui va mal. Deux bourses vides, ce n’est pas un cadeau à faire à des églises qui s’écroulent de misère.