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bonne partie du pays étant libre d’ennemis, il les encourageait à voyager et à nouer connaissance avec ces « frères américains » pour qui ils étaient venus combattre. Ils allaient à Boston, Albany, West Point, Philadelphie. C’est à ce moment que Chastellux parcourut le pays avec plusieurs de ses camarades et réunit les matériaux de ses Voyages dans l’Amérique du Nord, dont la première édition fut imprimée, très abrégée, sur ces presses que Rochambeau s’était recommandé à lui-même de ne pas oublier : « De l’Imprimerie Royale de l’Escadre, » lit-on à la première page du volume, qui ne fut tiré qu’à vingt-trois exemplaires. L’imprimerie de l’escadre n’avait ni beaucoup de caractères ni beaucoup de papier.

Closen qui, à sa grande joie et vive surprise, avait été fait, au débarqué, membre de la « famille » de Rochambeau, c’est-à-dire nommé aide de camp du général, commença, du moment que ses nouveaux devoirs lui laissèrent des loisirs, à étudier, avec son esprit méthodique, « la constitution des treize Etats et du Congrès de l’Amérique, » c’est-à-dire les constitutions séparées que chacun d’eux s’était données, et dont Franklin, qui s’en était procuré des traductions françaises, faisait admirer à Paris les dispositions nouvelles et libérales.

Il examine le lieu où il est : « Cette île (Rhode Island) est peut-être une des plus jolies du globe. » Le séjour se prolongeant on fait des connaissances, on apprend l’anglais, on pénètre dans les sociétés américaines. Au début, c’était fort difficile, aucun Français ne comprenait aucun Américain, et l’on avait bravement recours parfois au latin, mieux connu qu’aujourd’hui : « Quid de meo, mi carissime Drowne, cogitas silentio ?… » Suit toute une longue lettre, très affectueuse, adressée au docteur Drowne, médecin à Newport, et signée « Silly, officier au régiment de Bourbonnais, » 9 septembre 1780[1]. Le sous-lieutenant de Silly compte, d’ailleurs, apprendre l’anglais pendant l’hivernage : « Inglicam linguam noscere conabor. » Les lettres sont, en effet, en anglais par la suite, mais un anglais passablement rustique. Acquérant peu à peu de sommaires notions de la langue, nos officiers se risquent à faire des visites, se rendre à des thés et des dîners. Closen note avec curiosité tout ce qu’il voit : « Il tient de l’honnêteté, toutes les fois qu’on se rencontre,

  1. L’original, prêté par le descendant du destinataire, est exposé dans le musée de la célèbre Fraunce’s Tavern » à New York, déjà mentionnée.